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refusait à donner la moindre des garanties, et il rejeta ainsi l’Autriche irrévocablement dans l’agitation allemande. Restait encore une politique beaucoup plus modeste, mais toujours sensée et saine : c’était de donner, au moins pour sa part, suite au projet de déchéance, d’accorder à la France cette satisfaction et ce gage de fermeté, et de tenir l’Allemagne en respect par la manifestation éclatante de l’accord toujours conservé entre les deux grandes puissances de l’Occident. Lord Russell y pensa un instant : il formula sa déclaration de forfeiture, il l’expédia même pour Saint-Pétersbourg ; puis soudain il la révoqua, et donna tête baissée dans le piége que lui tendait depuis longtemps M. de Bismark.

Rien de plus curieux que de suivre, dans les rapports multipliés de sir Andrew Buchanan, le langage ondoyant et fuyant de M. de Bismark, au sujet de la controverse dano-allemande jusque la fin du mois d’octobre. Au moment où la question venait de se poser dans sa forme nouvelle et inquiétante, à la suites de l’ordonnance du roi Frédéric VII du 30 mars, le ministre prussien en était encore à se débattre contre la tempête qu’avait soulevée en Europe sa convention militaire avec la Russie. Le comte Russell fit alors tout ce qui était en son pouvoir pour détourner l’orage, et les hommes politiques d’au-delà du Rhin se demandaient si déjà ces obligations envers lord John ne paralyseraient pas toute action « énergique et patriotique » de la Prusse dans la question des duchés. Les progressistes de la chambre de Berlin ne faisaient pas même à M. de Bismark l’honneur de lui supposer « une pensée allemande, » et M. Temme lui rappelait les termes « sacrilèges » dans lesquels l’ancien député de la Marche de Brandebourg avait parlé en 1849 de la sainte cause du Slesvig-Holstein. « Ce n’est pas le moyen de me faciliter l’action tant réclamée que de me citer des lambeaux des discours d’autrefois, » répondit ironiquement le chef des hobereaux devenu président du conseil, et il ajouta avec hauteur : « Quand je croirai nécessaire de risquer une guerre, je la risquerai avec ou sans votre approbation, messieurs les députés ! » Toutefois il s’empressa de rassurer l’ambassadeur anglais, sur ses intentions toutes pacifiques ; il n’admettait pas (18 avril) que la guerre pût être la conséquence du conflit, mais en même temps il exprimait dès lors, et lui le premier, l’appréhension que les droits du prince Christian de Glucksbourg à la succession ne fussent sérieusement ébranlés par ce nouvel incident… Le mois suivant (23 mai) et à plusieurs reprises, il affirmait à M. Buchanan que la Prusse n’avait pas d’intérêt spécial dans cette question, qu’elle ne prendrait pas l’initiative, et M. de Quaade lui-même, l’ambassadeur danois à la cour de Berlin, crut un moment que la Prusse exercerait son influence dans