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voir d’un œil tranquille écraser nos voisins sous des prétextes qui plus tard pourraient mettre en danger notre propre indépendance[1]. » Sans doute aussi la Suède aurait dû se trouver à côté du Danemark au moment du danger, elle aurait dû affronter une défaite même certaine (peu périlleuse cependant), ne fût-ce que dans un intérêt purement égoïste, en vue de l’avenir et de « l’union scandinave, » qui tente, à ce qu’on affirme, plus d’un esprit élevé sur le bord du Mælar, car il est bon, dans l’occasion, de combattre non-seulement, mais d’essuyer même un revers « pour une idée, » et le Piémont en est un exemple éclatant. Toutefois il sera bien permis de chercher ailleurs que dans ce secours espéré des Suédois les raisons qui faisaient tenir aux ministres britanniques un langage si affirmatif quant à la sécurité du Danemark. Ces raisons, elles étaient évidemment dans la bonne entente avec la France et le malaise de l’Allemagne elle-même à l’approche de la crise.

Depuis l’insurrection de Varsovie, on pouvait remarquer un peu plus de cordialité dans les rapports entre les deux cabinets de Saint-James et des Tuileries ; le spectre de l’alliance franco-russe s’était évanoui, les deux gouvernemens faisaient des efforts communs pour la Pologne, et de même la France appuyait les démarches de l’Angleterre dans le différend dano-allemand. Sans prendre en effet dans ce dernier débat le rôle actif et principal, M. Drouyn de Lhuys ne cessait pourtant, jusqu’au mois de septembre, de seconder lord Russell dans sa sollicitude pour la monarchie de Frédéric VII. Dès le mois d’avril, il avait recommandé la modération, aussi bien à Vienne qu’à Copenhague[2]. Deux mois plus tard, il déclarait vouloir agir de concert avec le gouvernement de sa majesté britannique dans cette affaire ; il donnait son approbation à la dépêche significative de lord Russell du 31 juillet, et déclarait vouloir écrire en ce même sens à ses agens[3]. Enfin, dans les commencemens de septembre encore, le ministre français adhérait pleinement à une nouvelle missive du principal secrétaire d’état dont lord Cowley lui donnait lecture, et où le comte Russell établissait devant M. de Bismark des distinctions toujours plus précises : il y maintenait non-seulement le caractère non germanique du Slesvig, mais rappelait de plus que le Holstein lui-même, bien que pays fédéral, « n’en faisait pas moins partie du territoire d’un souverain indépendant dont les possessions sont comptées pour un élément nécessaire à l’équilibre de l’Europe[4]. » Or, si cet accord entre la France et

  1. Dépêche de M. Manderstroem au comte Wachtmeister du 26 Juillet.
  2. Voyez les dépêches de lord Blomfield du 23 et de M. Paget du 28 août.
  3. Dépêches de lord Cowley du 31 juillet et du 1er août.
  4. Dépêche du comte Russell à M. Lowther à Berlin du 31 août. — Dépêche de lord Cowley du 7 septembre. — « Le chargé d’affaires de France s’en est rapporté à la dernière déclaration de lord Russell, qui a été communiquée à Paris. On partage à Paris les vues du ministre britannique,… » écrit également M. de Bismark à M. de Katte à Londres dans sa dépêche du 11 septembre.