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en l’air pour le remaniement de la carte de l’Europe, tant à l’occident qu’à l’orient, et lord Palmerston déclarait en plein parlement que la situation lui semblait « grosse au moins d’une demi-douzaine de guerres respectables[1]. » Serait-ce donc l’appréhension de pareilles éventualités qui aurait converti de la sorte le ministre britannique à la foi du National Verein, et aurait-il voulu s’assurer le concours futur de l’Allemagne dans des occurrences redoutables par cette concession faite à sa passion la plus chère ? Dans une telle hypothèse, lord John pourrait du moins plaider les circonstances atténuantes de sa démarche incroyable, et prétendre avec le bon Polonius que la folie n’avait point manqué de méthode[2]. Il aurait ainsi, en septembre 1862, abandonné le roi Frédéric VII pour s’attacher la Germanie en face de l’alliance franco-russe, comme il devait l’année suivante sacrifier la Pologne pour sauver le traité de Londres et lâcher de nouveau le traité de Londres devant l’épouvantail d’un congrès européen à Paris. Singulier piloté dans tous les cas, dont tout l’art de navigation consisterait à jeter invariablement par-dessus le bord une partie de sa cargaison à la moindre annonce d’une tempête !

Quoi qu’il en soit, la dépêche de Gotha devint le signal d’une recrudescence violente du slesvig-Holsteinisme de l’autre côté du Rhin, et c’est d’elle, à dire vrai, que date diplomatiquement le démembrement de la monarchie danoise ; Le chef du foreign-office fut si glorieux de son œuvre qu’il s’empressa de la communiquer à tous les cabinets intéressés ;… il n’y eut d’exception que pour les deux puissances scandinaves. Le gouvernement de Copenhague n’eut connaissance officielle de la note que le 14 octobre ; quant à la Suède, bien que signataire du traité de Londres, elle fut dédaigneusement laissée à l’écart, ce qui donna au comte Manderstroem l’occasion d’écrire « qu’il était tenté de féliciter le ministre anglais d’un silence si opportun, ses dépêches paraissant écrites à l’adresse des cours ennemies du Danemark ou fort ignorantes de ses affaires, et la cour de Stockholm n’étant dans l’un ni dans l’autre cas. » Par contre, les cours allemandes, celles de Vienne et de Berlin notamment, ne manquèrent pas d’adresser au cabinet de Saint-James leurs complimens sincères : le débat « ramené à ces ; termes, » elles l’acceptaient de grand cœur ! Il faut bien noter ceci : les « quatre points » et les quatre parlemens de. la note anglaise du 24 septembre devaient être, pendant toute l’année 1863, le mot d’ordre de la

  1. Voyez la première partie de ce travail dans la Revue du 15 septembre 1864 : les Alliances depuis le congrès de Paris.
  2. « Is it madness, has it method. »