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différens gouvernemens de l’Allemagne. Les gouvernemens des petits états voyaient dans la question du Slesvig-Holstein un utile dérivatif à l’agitation unitaire si menaçante pour les souverainetés particulières des princes ; l’Autriche et la Prusse n’y cherchaient que le moyen de faire « des conquêtes morales en Allemagne, » selon le mot célèbre du prince-régent : de toutes parts on faisait les enchères du patriotisme avec des billets tirés sur le Danemark, et qu’on savait devoir être protestés. Quant à passer l’Eider et à renouveler l’expérience de 1848, certes MM. de Rechberg et de Schleinitz y songeaient aussi peu que MM, de Beust et de Pfordten. L’entreprise avait échoué à une époque bien autrement favorable, au moment d’une crise révolutionnaire universelle, alors que le monde était livré à toutes les angoisses d’une commotion politique et sociale : comment réussirait-elle en 1862, au milieu d’une paix générale et en face des puissances jouissant de la plénitude de leur liberté et de leur force ?

Ainsi pensaient tous les hommes sérieux, même en Allemagne ; ainsi pensait surtout le Danemark, et il ne s’effrayait pas outre mesure des démonstrations germaniques. Il avait confiance dans son droit, dans l’opinion et l’appui de l’Europe. La rivalité manifeste et toujours croissante entre l’Autriche et la Prusse, devenait d’ailleurs pour lui un motif de sécurité de plus. Du reste, depuis la fin de 1861, le grand flux libéral qui avait jusque-là porté les esprits en Allemagne perdait visiblement de son niveau, et avec lui devait inévitablement s’apaiser aussi l’agitation pour les duchés. L’ère nouvelle s’était déjà éclipsée ; le régent de Prusse, devenu le roi Guillaume Ier, était entré en lutte avec les « hommes du progrès » (Fortschrittsmänner), un conflit constitutionnel des plus graves avait éclaté, et le 24 septembre 1862 M. de Bismark venait d’être placé à la tête du cabinet de Berlin, Or on connaissais de longue date l’opinion de M. de Bismark sur la « querelle d’Allemand » faite au roi de Danemark, « souverain, légitime dans les duchés ; » on savait de plus que le parti auquel appartenait le nouveau ministre, et qui lui prêtait son appui indispensable, que le parti de la Croix avait toujours répudié le slesvig-holsteinisme comme une invention de la démagogie : on avait donc toute raison de croire à l’assoupissement prochain de ce que les diplomates de la Grande-Bretagne n’avaient cessé d’appeler a tedions and a vexed question. Telle était la situation dans l’automne de 1862, quand soudain, le jour même de l’arrivée au pouvoir de M. de Bismark, au moment le moins opportun et du quartier le plus inattendu, partit une dépêche incroyable qui fut accueillie en Allemagne avec les transports d’une joie frénétique, et remplit par contre Copenhague