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ils fournissent le contingent le plus fort à la classe gouvernante dans le vaste empire des tsars, et l’esprit reste confondu devant les perspectives qu’ouvre sur l’avenir cette ubiquité du génie et de l’influence de la Germanie. À ne tenir compte que du présent, la langue tudesque « résonne[1] » déjà dans assez de pays demeurés jusqu’à ce jour en dehors du Bund pour que la doctrine qui vient de triompher sur l’Eider devienne l’objet de sérieuses réflexions. Cette langue domine dans la moitié des cantons suisses, persiste dans l’Alsace et fait journellement des conquêtes dans les districts flamands de la Belgique. Les provinces russes de la Baltique sont sans contredit bien plus germanisées que l’ancien Jutland méridional ; les habitans de Mittau et de Riga s’enorgueillissent même du plus pur accent allemand, et sans parler du Luxembourg, au sujet duquel le parlement de Francfort avait déjà en 1848 élevé les mêmes plaintes et prétentions qu’à l’égard des duchés de l’Elbe, nous ne voyons pas en conscience les raisons philologiques que pourraient faire valoir les Néerlandais pour ne pas subir le sort des Frisons du Slesvig, pour échapper un jour à l’honneur de former, eux aussi, un état-amiral de la grande confédération. « Au bas-allemand appartiennent les dialectes frisons, ainsi que le hollandais et le flamand ; » tel est l’arrêt de la plus irrécusable des autorités, de cet illustre Max Müller que l’université d’Oxford a su enlever à l’Allemagne, et qui n’a pas du reste négligé de faire, lui aussi, et devant les Anglais, son plaidoyer pour la Germanie[2] dans la question du Slesvig-Holstein. « les nations et les langues contre les dynasties et les traités, voilà ce qui a refait et ce qui refera encore la carte de l’Europe ; » a dit aussi le même savant dans son cours classique sur la science du langage, aux applaudissemens de l’auditoire exquis du Royal Institute, et il est à parier que ce mot fera encore fortune dans tel organe voué à la politique de l’avenir !… Pourvu, — ajouterions-nous humblement, — que ces langues ; idiomes et patois ne soient pas tournés contre les organismes vivaces, historiques et traditionnels des nations, pourvu que le despotisme né soit pas seul à trouver son compte au déchirement de ces traités, qui contenaient peut-être plus d’une stipulation favorable pour les pays opprimés, les dernières garanties des peuples malheureux, subjugués, et qui ne garderaient plus alors aucun lambeau, de droit pour

  1. « La patrie allemande doit s’étendre partout où résonne (klingt) la langue allemande, » a dit le célèbre chant national d’au-delà du Rhin, le chant d’Arndt.
  2. Voyez les articles intitulés A German plea for Germany, by professer Müller, dans le Times de 1864. Voyez aussi la Science du Langage de Max Müller dans l’élégante traduction de MM. Harris et Perrot ; les paroles que nous rapportons dans le texte se trouvent, aux pages 185 et 13 de cette traduction.