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Le Slesvig, la grande patrie poussa déjà un long cri d’indignation et d’horreur. Les professeurs de Heidelberg élevèrent les premiers la voix contre « l’injure » faite à l’honneur et au droit de leur nation ; les universités de Bonn, de Leipzig, de Goettingue, suivirent cet exemple ; les chambres de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, retentirent d’imprécations violentes ; le duc d’Augustenbourg, le duc de Glücksbourg, le grand-duc d’Oldenbourg, protestèrent devant la diète de Francfort, et il n’est pas jusqu’à cette diète fédérale elle-même, — jadis si sourde à tous les mémoires de Dahlmann[1], — qui ne crût devoir maintenant, dans sa résolution du 17 septembre 1846, réserver « les droits de tous et de chacun, spécialement de la confédération germanique et des agnats, » et « reconnaître le sentiment patriotique qui s’est manifesté à cette occasion dans plusieurs états allemands. » Les événemens marchèrent vite dans ces mois fiévreux qui précédèrent la catastrophe de février. Alors du reste comme de nos jours la crise fut précipitée par un changement de règne à Copenhague, — la mort de Christian VIII et l’avènement de Frédéric VII, — et bientôt il y eut une émeute de plus dans cette année 1848, année de grâce et de révolutions. Le Holstein s’insurgea contre le souverain légitime, que les Danois tenaient prisonnier ; un gouvernement provisoire fut installé à Rendsbourg sous la direction des princes d’Augustenbourg, et les volontaires de l’Allemagne pénétrèrent dans le duché de Slesvig pour y délivrer « des frères opprimés. » L’armée danoise eut promptement raison de ces bandes indisciplinées des « corps francs ; » mais à leur suite vinrent les soldats de la Prusse et de la confédération, le général Wrangel s’avança jusque dans le Jutland, et il ne fallut rien moins que l’intervention de l’Europe pour faire cesser un pareil scandale, pour mettre fin à une entreprise que la conscience indignée de M. de Bismark a si bien qualifiée alors de frivole, d’inique et de révolutionnaire

Il faut rendre cette justice à la diplomatie européenne dans ces années agitées de 1848-49, qu’elle n’eut pas les moindres doutes

  1. Par sa décision, entre autres, du 17 novembre 1823, la diète fédérale avait « rejeté comme non fondée » la plainte portée par les prélats et chevaliers de Holstein dans une pétition datée du 5 décembre de l’année précédente, et il est curieux de consigner (d’après les protocoles de la diète) l’opinion émise alors par le gouvernement prussien au sujet de ce différend. « Les auteurs de la pétition (déclarait le plénipotentaire prussien dans la séance du 10 juillet 1823) demandent que l’union soit maintenue entre les duchés de Holstein et de Slesvig ; mais, à part toutes les autres objections que ce maintien de l’union pourrait soulever par lui-même, il est évident que la diète fédérale ne saurait exercer une influence quelconque sur ce sujet, et cela par la raison que le duché de Slesvig n’appartient pas au territoire fédéral allemand, et reste par conséquent en dehors de l’autorité de la confédération germanique. »