Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des réquisitoires de Mayence. C’est que Frédéric VI de Danemark tenait à honneur de préserver son duché de Holstein de l’odieuse police fédérale, et de laisser à la science allemande toute indépendance et toute dignité au sein d’une grande école que lui et ses devanciers n’avaient cessé de protéger et de chérir.

C’est pourtant cette même université de Kiel qui, dès les premiers temps de la restauration, devint le berceau du slesvig-holsteinisme, l’officine où l’érudition germanique se mit à forger contre la monarchie danoise l’arme meurtrière qui passa ensuite aux mains des Wrangel et des Bismark, et jamais science cordialement accueillie n’a mieux justifié qu’à cette occasion et dans le sens de la fable son antique emblème du serpent. Dès 1815 s’établissait à l’université de Kiel et y préludait à son action fatale le futur O’Connell des duchés de l’Elbe, — un O’Connell tout d’étude et de plume, un Warwick faiseur de rois au moyen d’interminables dissertations sur la lex regia et la constitutio Vaîdemari, — ce même et célèbre Dahlmann qui, après avoir jeté les assises d’une nouvelle dynastie sur les bords de l’Eider, devait encore un jour, en 1849, relever le saint-empire romain à Francfort et venir à Berlin présenter la couronne de Charlemagne au romantique descendant des Hohenzollern. Frédéric-Christophe Dahlmann est un type remarquable de cette génération toute moderne de professeurs allemands dont les origines remontent aux guerres du premier empire, mais dont l’importance s’est surtout accrue depuis 1840, et qui, à l’heure qu’il est, domine souverainement dans les écoles, les chambres et les assemblées populaires de l’autre côté du Rhin, — génération d’esprits violens et acerbes, poussant parfois au délire, toujours à l’injustice, un patriotisme haineux et farouche, mettant une érudition infatigable, spécieuse, fallacieuse même, au service de toutes les passions et de toutes les convoitises du génie national, ne rêvant et ne prêchant qu’annexions, revendications et conquêtes, et assujettissant en imagination l’univers entier « à la majesté de l’idée germanique, professoria lingua regimen mundi exposlulans… Du reste, l’élu du Seigneur dans la Bible allait seulement à la poursuite des ânes de son père, et trouva une royauté sur sa route ; de même le jeune professeur de Kiel fit la découverte d’une Atlantide, de tout un pays à revendiquer pour la grande patrie, là où il n’avait d’abord cherché que des argumens pour les immunités et privilèges de l’ordre équestre du Holstein, dont il était le mandataire judiciaire[1], car ce n’est pas une des moindres bizarreries de ce débat

  1. Il était secrétaire payé de la députation permanente de l’ordre équestre à Kiel, et c’est en cette qualité qu’il élabora dès 1816 (8 octobre) son premier mémoire pour la noblesse de ce pays, où se trouvait déjà en germe toute la théorie du slesvig-holsteinisme. D’ailleurs Dahlmann, remarquons-le en passant, n’était nullement originaire des duchés : il était né à Wismar, dans le Mecklembourg, et avant de s’établir à Kiel il avait occupé une chaire d’histoire à l’université de Copenhague. Ce fut pendant ce séjour à Copenhague qu’il publia sur Oehlenschlaeger un travail très sympathique, et en langue danoise.