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le port, jamais, jamais !… » Au milieu du silence consterné qui accueillit ce triple jamais, un seul député se leva pour féliciter le gouvernement de sa résolution. « Je suis de la Marche de Brandebourg, dit-il, je suis du sol même où la monarchie prussienne a été bâtie, cimentée avec le sang de nos pères, » et cette considération lui suffisait pour ne pas vouloir troquer la couronne auguste de ses rois contre un jouet forgé par des professeurs de Francfort. Non content de blesser à ce point les sentimens de la majorité, l’orateur osait condamner sévèrement une autre convoitise de ses compatriotes encore plus chère à leurs cœurs, et il s’élevait avec force contre leurs prétentions sur les pays de l’Eider, alors que ces prétentions étaient soutenues par les armes et les vœux de l’Allemagne tout entière. Le député de la Marche de Brandebourg eut le courage méritoire de déplorer que « les troupes royales prussiennes fussent allées défendre la révolution dans le Slesvig contre le souverain légitime de ce pays, le roi de Danemark. » Il affirma qu’on faisait à ce roi « une véritable querelle d’Allemand, » qu’on lui cherchait noise « à propos de bottes » (um des Kaisers Bart), et l’orateur n’hésita pas à déclarer, au milieu d’une chambre frémissante, que la guerre provoquée dans les duchés de l’Elbe était « une entreprise éminemment inique, frivole, désastreuse et révolutionnaire[1]… »

L’homme qui prononçait en 1849 ces paroles remarquables n’était autre que M. de Bismark-Schœnhausen ; mais, pour rendre son jugement complet, l’honorable député de la Marche de Brandebourg aurait dû ajouter que cette entreprise constituait de plus un monument insigne de l’ingratitude du génie allemand envers une monarchie qui de tout temps l’avait comblé de ses bienfaits. On ne saurait l’oublier, l’agitation des duchés de l’Elbe a été surtout l’œuvre des savans et des écrivains de la Germanie ; l’idée même de Slesvig-Holstein n’est due qu’à leur esprit inventif. Les généraux de Wrangel, de Gablentz, et jusqu’au prince royal, le héros de Misunde, n’ont donné, à vrai dire, que le dernier assaut à une place qu’assiégeaient déjà depuis plus d’un quart de siècle les Dahlmann, les Arndt, les Falk, les Droysen, les Waitz, et les autres grands capitaines de la république des lettres. Historiens, publicistes, poètes et romanciers de l’Allemagne ont fait pendant plus de trente ans au Danemark une guerre sans relâche, une guerre de pamphlets et de livres, de chansons et de romans, d’archéologie

  1. « Ein höchst ungerechtes, frivoles und verderbliches Unternehtnen zur Unterstützung einer ganz unmotivirten Revolution. » — Voyez à ce sujet l’interpellation de M. Temme sur les affaires de Slesvig-Holstein dans les débats de la seconde chambre prussienne du 17 avril 1863 ; voyez aussi les débats de la même chambre du 7 avril 1849.