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et toutes se rapprochent plutôt de ces formes rondes et carrées qui dominent jusque vers la fin du Ier siècle que de ces formes allongées et grêles qui commencent à se rencontrer vers l’époque de Trajan. Quant à croire ces caractères contemporains de Constantin ou de Gallien, on ne peut y penser un instant. Pour faire descendre jusqu’au IVe siècle la construction de la Porte-Noire, il faudrait admettre une hypothèse qui ne présente guère de vraisemblance : il faudrait prétendre que l’architecte de ce monument aurait employé des matériaux préparés deux siècles plus tôt pour quelque autre édifice de la Trèves primitive.

L’esthétique s’accorde ici avec l’archéologie et la paléographie pour nous conduire à reporter bien plus loin qu’on ne le fait ordinairement la construction de la Porte-Noire. Dans l’ordonnance de l’ensemble, dans la sévérité des lignes et la fermeté des profils, dans ces fenêtres cintrées que séparent des colonnes adossées, on retrouve quelque chose du théâtre de Marcellus et de plusieurs autres monumens de cette grande époque. C’est le même esprit, le même principe, comme on dit en termes d’atelier, mais avec une exécution moins fine et moins soignée. C’était ici, qu’on ne l’oublie pas, une forteresse, non un ouvrage de luxe, comme un théâtre ; enfin Trèves n’était pas Rome, c’était une colonie militaire fondée sur une terre barbare. Aussi bases et chapiteaux, architrave, frise et corniche, tout a été aussi simplifié que possible ; tout ce qui était de pure ornementation a été supprimé ou seulement indiqué. Je ne sais pourquoi M. Hübner a négligé cette comparaison, qui vient si à propos confirmer l’opinion qu’il a eu le mérite d’émettre le premier. Il me semble y avoir là un nouvel et très fort argument à l’appui de la thèse qu’il soutient.

Nous venons de donner un curieux exemple des services que peuvent rendre à l’histoire des études que volontiers, en France, nous traitons encore avec dédain ; c’est, à tout prendre, la paléographie qui nous a fourni ici le plus sûr critérium. On peut faire un pas de plus à l’aide d’un mot de Tacite. « Les légions, nous dit-il en racontant la guerre de l’an 70, viennent camper, sans changer de route, sous les murs de Trèves. » Trèves était donc entourée dès ce moment d’une enceinte fortifiée, et il est probable que la Porte-Noire faisait déjà partie de cette enceinte. En effet, cet édifice ne paraît pas avoir jamais porté d’inscription ; si à une époque postérieure il avait été ajouté à l’enceinte primitive, une inscription, tout le fait présumer, aurait rappelé le nom du prince sous lequel aurait été exécuté un si grand ouvrage. Si au contraire ce monument appartient à un travail d’ensemble, exécuté en une seule fois lors de l’établissement de la colonie, on comprend qu’aucune inscription spéciale n’ait été jugée nécessaire pour indiquer l’époque de la