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la Moselle et aux plaisirs de la pêche, l’autre qui a pour objet les vendanges et la gaîté bruyante qui les suit. On rencontre partout quelques traits heureux qu’affaiblissent presque aussitôt la prolixité et la recherche ; c’est toujours le même effort pour tout peindre par le menu, pour n’omettre aucun détail, pour tout dire et tout rendre, effort qui trahit la décadence et qu’on retrouve dans toutes les littératures vieillies et fatiguées. Ausone termine en comparant la Moselle à sa Garonne natale, « semblable à une mer, » et il finit, comme il avait commencé, par une nouvelle et plus enthousiaste apostrophe à ce fleuve, sur les bords duquel il avait retrouvé une autre patrie : « Salut, mère féconde des fruits de la terre et des vaillans hommes, Moselle ! Tu as, pour parer et illustrer tes rives, une noblesse renommée, une jeunesse exercée à la guerre, une éloquence qui rivalise avec celle que l’on entend aux bords du Latium. » Laissons de côté pourtant le mérite littéraire du poème et le plaisir que le voyageur peut trouver à le parcourir, tout entaché qu’il soit d’affectation et de faux goût, aux lieux mêmes où il fut écrit. Ce qui fait, en tout cas, l’intérêt historique de cette composition, c’est qu’elle nous montre combien cette société, à la veille de la ruine et du suprême naufrage, avait encore une apparence de richesse et de force, quels coups répétés furent nécessaires pour détruire et dissiper tout le capital amassé, — pour anéantir l’agriculture et l’industrie, pour tuer les arts, — pour dégoûter l’homme de la vie. Le territoire de Trèves avait déjà été deux fois ravagé, la ville même avait été, à ce qu’il semble, deux fois prise et pillée ; les indomptables Francs, ennemis farouches qui venaient battre sans cesse la frontière, ou alliés douteux cantonnés dans les limites de l’empire, étaient là tout près de Trèves, mal contenus par les forteresses du Rhin ou campés dans le territoire trévirois, et le tableau que nous trace Ausone n’offre que de riantes et douces images ! Il semble que toutes les traces des maux passés aient déjà disparu, et que partout règnent la sécurité et la confiance en l’avenir. Ausone lui-même, tout léger qu’il soit, paraît avoir été surpris de trouver un calme si profond dans le menaçant voisinage du fleuve déjà tant de fois franchi. « Trèves, dit-il, toute proche qu’elle soit du Rhin, se repose tranquille comme en pleine paix. »

Ce qui contribuait encore à animer la ville et ses environs, c’étaient les grands établissemens publics qu’y entretenait le gouvernement romain. Comme le rappelle Ausone dans les espèces de quatrains qu’il a consacrés aux villes illustres de l’empire, et comme nous l’apprend la Notitia dignitatum, sorte d’almanach impérial ou d’annuaire qui nous a été conservé, Trèves possédait un hôtel des monnaies, un gynecium, fabrique où des femmes étaient employées