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ou un Cornélius, avant même de s’être donné la peine d’obliger personne, était sûr de trouver toujours le matin son vestibule rempli de gens que la reconnaissance attachait à sa famille, et il faisait sensation au forum par le nombre de ceux qui l’accompagnaient le jour où il venait y plaider sa première cause. Cicéron n’eut pas cet avantage ; mais, quoiqu’il ne dût ses cliens qu’à lui-même, ils n’en étaient pas moins très nombreux. Dans ce temps de luttes passionnées, où les citoyens les plus calmes étaient tous les jours exposés aux accusations les plus déraisonnables, beaucoup de gens étaient forcés de recourir à son talent pour les défendre. Il le faisait volontiers, car il n’avait pas d’autre moyen pour se faire une clientèle que de rendre service à beaucoup de monde. C’est peut-être ce qui lui fit accepter tant de mauvaises causes. Comme il était arrivé presque seul au forum, sans ce cortège d’obligés qui donnait la considération publique, il lui avait fallu ne pas se montrer trop difficile pour le former et pour l’accroître. Quelque répugnance que son esprit honnête éprouvât à se charger d’un procès douteux, sa vanité ne résistait pas au plaisir d’ajouter une personne de plus à la foule de ceux qui l’accompagnaient. Dans cette foule, il y avait, au dire de son frère, des citoyens de tout âge, de toute condition et de toute fortune. D’importans personnages s’y mêlaient sans doute à ces petites gens dont se composaient d’ordinaire ces sortes de cortèges. En parlant d’un tribun du peuple, Memmius Gemellus, celui qui fut le protecteur de Lucrèce, il l’appelle son client.

Ce n’est pas seulement à Rome qu’il avait des cliens et des obligés ; l’on voit par sa correspondance que sa protection s’étendait beaucoup plus loin, et qu’on lui écrivait de tous les côtés pour lui demander quelques services. Les Romains étaient alors répandus dans le monde entier ; après l’avoir conquis, ils s’occupaient à l’exploiter. À la suite des légions, et presque sur leurs pas, une foule d’hommes habiles et entreprenans s’était abattue sur les provinces qu’on venait de soumettre pour y chercher fortune ; ils savaient accommoder leur industrie aux ressources et aux besoins de chaque pays. En Sicile et en Gaule, ils cultivaient de vastes domaines et spéculaient sur les vins et sur les blés ; en Asie, où se trouvaient tant de villes opulentes et obérées, ils se faisaient banquiers, c’est- à-dire qu’ils leur fournissaient par leurs usures un moyen prompt et sûr de se ruiner. En général, ils songeaient à rentrer à Rome dès que leur fortune serait faite, et pour y revenir plus tôt ils cherchaient à s’enrichir plus vite. Comme ils étaient campés et non vraiment établis dans les pays vaincus, qu’ils s’y trouvaient sans affection ; et sans racines, ils les traitaient sans miséricorde et s’y faisaient détester. Souvent on les poursuivait devant les tribunaux,