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après par Tutor, auprès de Mayence, prit, malgré ses officiers, qui furent mis à mort, les mêmes engagemens. Un autre corps, qui se défendait depuis longtemps contre Civilis, dans le Vieux-Camp (Santen, dans le pays de Clèves), eut beau accepter les mêmes conditions ; il fut, au mépris de la capitulation, massacré tout entier par les Bataves et les Germains.

Le serment imposé aux troupes romaines indique jusqu’où allaient en ce moment les espérances des chefs insurgés. Maîtres, par l’alliance de Civilis, de tout le cours du Rhin et de la Gaule septentrionale, Classicus, Sabinus et Tutor ne se contentaient plus de penser à s’affranchir ; ils voulaient substituer l’empire gaulois à l’empire romain, ils songeaient à franchir les Alpes et parlaient de recommencer l’expédition des Senons leurs aïeux, d’aller brûler une seconde fois cette Rome que ne sauverait plus son Capitole, aujourd’hui réduit en cendres par le bras des Romains eux-mêmes, acharnés à leur propre perte. Les Gaulois, comme après eux les Français, se sont toujours montrés aisément enivrés d’un premier succès et prompts à croire fait ce qu’ils désirent. C’était aussi un événement inouï jusqu’alors que cette défection de deux armées romaines, consentant, presque sans combat, à incliner leurs aigles devant un Trévire, et engageant leur foi à cette Gaule qui avait coutume de trembler au bruit de leurs pas. On sent encore, à l’indignation contenue avec laquelle Tacite raconte toutes ces péripéties, à celle qu’il laisse éclater dans les paroles qu’il prête à Vocula, combien l’orgueil romain dut souffrir d’un pareil affront. Rome, dès que l’ordre se rétablirait sous l’habile et ferme Vespasien, chercherait sans doute à venger cette injure ; mais ce prince n’était pas encore arrivé en Italie, et la Gaule avait tout le temps nécessaire pour se concerter et organiser la résistance, au besoin même pour prendre l’offensive. Ce qui la perdit, ce furent, sous Vespasien comme sous Jules César, ses divisions intestines. L’empire des Gaules aurait été plus grand que ne l’est aujourd’hui l’empire français, il aurait eu cette rive gauche du Rhin que nous avons su conquérir et que nous n’avons pas su garder ; mais beaucoup de siècles devaient encore s’écouler, plus d’une invasion passer sur notre sol et bien du sang l’abreuver, de nombreuses générations et beaucoup de grands hommes s’user à la tâche, avant que se fondât l’unité française, avant que fussent réunies dans un seul et même effort toutes les populations qui habitent le pays compris entre les Alpes et les Pyrénées, la Méditerranée et la Manche, l’Océan et le Rhin.

Les armées romaines n’avaient pas franchi les Alpes, que déjà la guerre civile avait éclaté en Gaule. Julius Sabinus, avec ses