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I
Ante Romain Treviris stetit annis mille trecentis.
Perstet, et æterna piace fruatur ! Amen !

Ce distique barbare, dont l’auteur inconnu traite avec tant de sans-façon les règles de la quantité latine, se lit, inscrit en grandes lettres noires, sur la façade de la Maison-Rouge, élégant, irrégulier et bizarre édifice, construit au XVe siècle, qui passe pour avoir été autrefois l’hôtel de ville ; c’est là que se trouve installée aujourd’hui la meilleure auberge de Trèves. Ainsi la première chose qui frappe ici les yeux de l’étranger, c’est cette naïve forfanterie du patriotisme local. À en croire l’interprète anonyme de la croyance populaire, Trèves serait plus vieille que Rome de treize siècles ! On ajoute même que la fondation de Trèves serait due à un certain Trebeta, fils de Ninus et de Sémiramis. Metz, sa voisine sur la Moselle, est plus modeste : elle se contente de remonter à la guerre de Troie et de se donner pour premier auteur un compagnon d’Énée ; il lui suffit de se dire contemporaine de Rome. Quelque fantastique que puisse paraître toute cette chronologie, les traditions relatives à l’ancienneté de Trèves jouissaient au moyen âge d’un grand crédit dans toute la vallée du Rhin ; ce qui le prouve, c’est que nous les voyons acceptées par ceux-là mêmes dont la vanité aurait eu intérêt à les contester. On lit sur la tour de la grosse horloge de Soleure, en Suisse, ces deux vers qui ne valent guère mieux que ceux de Trèves :

In Celtis nihil est Soloduro antiquius, unis
Exceptis Treviris, quorum ego dicta soror.

Ce qui est certain, c’est que les Trévires appartenaient à la branche kymrique de la race gauloise ; sous un nom qui s’est conservé, avec une légère altération, jusqu’à nos jours (Trèves en français, Trier en allemand), la tribu kymrique qui s’était établie sur la Basse-Moselle jouissait déjà d’une grande réputation de richesse et de puissance au moment où Jules César attaqua la Gaule chevelue. « Ce peuple, dit Jules César en parlant des Trévires, est de beaucoup le plus fort en cavalerie de toute la Gaule ; il met aussi sous les armes une nombreuse infanterie, et son territoire va jusqu’au Rhin. » Les Trévires formaient comme l’avant-garde de la famille celtique, au nord-est de la Gaule belgique, sur la rive gauche de ce grand fleuve souverain que la nature semble avoir destiné à servir de frontière entre les empires ; leurs habitudes militaires et leur ardeur belliqueuse s’entretenaient dans une lutte incessante contre les Germains,