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d’albâtre datés de la sixième dynastie. Ce sont de petits chefs-d’œuvre, égalant les meilleurs produits de l’art chinois. Les Grecs atteindront à peine une telle perfection. Ces grands maîtres de l’idéalisme seront des industriels de second ordre. Le génie et l’habileté de main sont choses si diverses !

Et quand on songe que cette civilisation, vieille au moins de six mille cinq cents ans, n’a pas d’enfance connue, que cet art, dont il reste d’innombrables monumens, n’a pas d’époque archaïque, que l’Égypte de Chéops et de Chéphren est supérieure en un sens à tout ce qui a suivi, on est pris de vertige. On se demande si la race qui a peuplé l’Égypte n’était pas déjà complètement civilisée quand elle entra dans la vallée du Nil, ou si toutes les lois qui président d’ordinaire aux origines ne sont pas ici renversées. À vrai dire, j’incline à croire que tout cela naquit sans beaucoup de tâtonnemens. Ce qui est médiocre est ce qu’on trouve tout d’abord. Les statues de « l’ancien empire » sont infiniment supérieures pour le savoir-faire à celles de l’art grec primitif, et cependant l’essai le moins réussi des vieilles écoles grecques a bien plus de valeur aux yeux de l’artiste que ces chefs-d’œuvre d’habileté pratique. Les peintures des tombeaux de Sakkara indiquent moins d’inexpérience que celles de Giotto ; auprès d’aussi fins ouvriers, ce grand homme n’était qu’un maladroit. Et pourtant quelle différence d’avenir ! D’un côté, le réalisme infécond ; de l’autre, l’aspiration invincible vers l’idéal. La Grèce n’a pas reculé parfois devant la représentation des scènes ordinaires de la vie, témoin cette frise occidentale du Parthénon, où l’on voit les scènes les plus naïves, un homme passant sa tunique, un cheval chassant les mouches qui le piquent. Cela ne porte nulle atteinte à la noblesse du style. Ces Athéniens qui se préparent à la fête, en quelque sorte derrière la coulisse, ont plus de vraie majesté que le mieux drapé des empereurs romains. L’ensemble de la représentation est conçu d’une façon si peu réelle qu’à quelques pas de là les dieux et Les êtres allégoriques s’y mêlent. Pour l’artiste grec, le trait réaliste est destiné à mieux faire ressortir, l’idéal. L’artiste égyptien au contraire se complaît dans les scènes communes représentées d’une façon commune. Content de son ouvrage, il ne rêve rien de plus ; il est satisfait à la façon des hommes vulgaires que ne tourmente pas la soif du divin. On ne sent pas en lui ce désespoir de ne pouvoir mieux faire, cette espèce d’effort pénible qui ne laisse point de repos à l’artiste grec archaïque, à l’artiste italien du XIIIe et du XIVe siècle. Ces étonnantes statues de Sakkara sont impossibles à améliorer, car le problème de l’art y est mal abordé. Fourvoyé dans l’impasse du médiocre, cet art, durant des siècles, se répétera indéfiniment, sculptera des kilomètres de surfaces lisses, couvrira d’images