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des mœurs, pendant l’énorme durée que nous prêtons à l’empire égyptien, n’est pas davantage une objection. Cette identité n’est, sur bien des points, qu’apparente. Sur d’autres, elle tient à ce que l’Égypte se copia indéfiniment elle-même. Il n’est pas plus singulier de voir les temples ptolémaïques ou romains d’Edfou, d’Esneh, d’Ombos, de Denderah, de Philae, rappeler les vieilles formes architectoniques des temples de Thèbes, qu’il ne l’est de voir telle église bâtie de nos jours, Saint-Vincent-de-Paul par exemple, ressembler aux basiliques constantiniennes. Les sculptures de Denderah rappellent beaucoup celles d’Abydos ; or il est indubitable qu’il y a quinze cents ans de distance de l’un de ces deux temples à l’autre. Pourquoi de Séthi Ier aux premières dynasties le même esprit de conservation n’aurait-il pas produit le même résultat d’apparente similitude. Les formes extérieures du catholicisme oriental ont peu varié depuis seize cents ans. La royauté française a eu pendant mille ans des usages, des traditions identiques. La ressemblance qu’il y a entre les hiéroglyphes de l’ancien empire et ceux des époques modernes est, au premier coup d’œil, très surprenante. Elle s’explique cependant. Une écriture consistant en images d’objets réels varie moins qu’une écriture linéaire. Je comprends que l’aleph phénicien et notre a ne se ressemblent guère, bien que le second vienne sûrement du premier, car, depuis l’invention de l’alphabétisme, chaque lettre n’est plus qu’un signe absolument sans relation avec ce qu’il signifie ; mais l’image d’un ibis, d’un épervier, sera la même à des siècles de distance. Le style de la gravure changera seul ; il y aura des révolutions de glyptique, non de paléographie. Encore faut-il à cet égard ne rien exagérer. Il existe des monumens égyptiens d’écriture archaïque renfermant des caractères qui sont tombés plus tard en désuétude : par exemple le tombeau d’Amten, au musée de Berlin ; celui de Tothotep, découvert par M. Mariette. Il y a d’un autre côté, dans les inscriptions tracées sous les Ptolémées et sous les Romains, des caractères nouveaux qu’on chercherait en vain dans les inscriptions du temps des pharaons.

Ne prenons donc pas pour mesure du mouvement chez ces races étranges l’échelle de progression à laquelle nous ont habitués les histoires qui nous sont le plus familières. L’Égypte fut de tous les pays le plus conservateur. Pas un révolutionnaire, pas un réformateur, pas un grand poète, pas un grand artiste, pas un savant, pas un philosophe, pas même un grand ministre ne s’est rencontré en son histoire. Si des hommes capables de jouer de tels rôles s’élevèrent en son sein, ils furent étouffés par la routine et la médiocrité générale. Le roi seul existe, a un nom. Ne dites pas que cela est arrivé par la faute des annalistes et des biographes, que l’Égypte