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contemporaine. Nous ne parlerons pas non plus de ses portraits : son imagination a besoin de trop d’indépendance et se sent gênée dans les limites d’une reproduction exacte de la figure humaine ; ses essais dans cette branche de l’art ne s’élèvent pas au-dessus de la médiocrité. Kaulbach heureusement n’a pas atteint le terme de sa carrière ; son talent a conservé toute son énergie et promet encore plus d’un chef-d’œuvre. C’est un de ces esprits féconds qui, aimant à s’exercer sur les matières les plus variées, ne se laissent pas engourdir dans les séductions de la routine et ne consacrent pas leur vie à remanier sans cesse le même sujet. Un fait néanmoins est à noter encore, et il caractérise aussi bien le génie de Kaulbach que les tendances actuelles de la peinture allemande. Kaulbach est aujourd’hui le directeur de l’école des beaux-arts de Munich ; mais, malgré toute l’autorité et la popularité de son génie, il n’a point, à proprement parler, de disciples. Les jeunes peintres n’osent pas se risquer dans la voie de son idéalisme large et élevé, et se laissent volontiers entraîner dans la carrière plus facile du réalisme, qui règne dans la capitale de la Bavière plus encore que dans le reste de l’Allemagne.


III

Telle qu’on vient de la résumer, l’histoire de la peinture allemande au XIXe siècle offre plus d’un enseignement utile. L’abus de certains systèmes en a mieux fait ressortir les défauts. De vaines tentatives pour faire exprimer à la peinture des idées qui ne sont pas de son domaine ont contribué à rappeler dans quelles limites elle doit savoir se tenir et quelle est sa véritable portée. Sans doute, aussi bien que la parole, la peinture peut être mise au service de tous les modes de la pensée ; mais, de même que tout ce qui s’écrit en vers n’est pas de la poésie, de même il ne suffit pas de manier un pinceau pour mériter le nom d’artiste. On peut réduire la peinture à n’être qu’un système d’écriture servant à l’expression d’idées abstraites, et c’est ce qu’a tenté de faire toute l’école allégorique : mais une pensée philosophique traduite par des signes visibles, sans qu’il y ait rien dans ces signes qui puisse agréer à la sensibilité, n’est que de la métaphysique peinte, comme il y a de la métaphysique parlée. Si le réalisme a eu si aisément raison de cet abus, c’est que l’allégorie se trouvait déjà en désaccord avec les besoins de notre époque. Dans les temps de civilisation naissante, quand le goût n’existe encore qu’en germe dans les sociétés, que les hommes, soumis aux conditions économiques les moins favorables, concentrent toute leur activité dans la production de ce qui est nécessaire ou utile, et n’ont point de loisir pour cultiver ce que