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un chef-d’œuvre. Le peintre se ferait tort à lui-même, s’il prétendait être jugé autrement.

Nous arrivons au troisième tableau, la Destruction de Jérusalem par Titus. Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette composition, c’est la surabondance des détails, qui, malgré cette profusion, se distinguent nettement les uns des autres, grâce à une habile distribution et à d’admirables effets de perspective. En haut, sur des nuages, sont assis les quatre prophètes, Isaïe, Jérémie, Daniel et Ézéchiel ; plus bas, les sept anges exterminateurs de l’Apocalypse, brandissant des glaives de feu, se précipitent pour exécuter l’arrêt céleste. Dans le fond, à droite, Titus s’avance avec ses légions victorieuses sur des ruines fumantes. Ses soldats se sont déjà emparés de l’autel abandonné et y font sonner les fanfares du triomphe. Au premier plan, le grand-prêtre et les siens se tuent pour échapper à l’ennemi ; des jeunes filles effrayées se cachent ; quelques-unes sont enlevées par des guerriers. À gauche, le temple est en proie à l’incendie ; entre les colonnes, Jean de Gischkala et Simon, fils de Gioras, attendent, impassibles, le sort qui leur est réservé ; sur les marches, des hommes, des femmes et des enfans tombent sous les coups des anges. Le tableau serait parfait, s’il ne renfermait pas autre chose ; mais Kaulbach en a affaibli l’intérêt dramatique en y ajoutant certains détails dont les uns sont en contradiction avec la donnée principale, et dont les autres, purement symboliques, sont au moins étrangers à l’action. Ainsi nous voyons, à gauche de l’autel, des femmes tourmentées par la faim se mordre les bras avec rage ou dévorer leurs enfans ; que vient faire ici cette scène hideuse, puisque la guerre est terminée ? Elle sert sans doute à rappeler le passé, comme les deux suivantes servent à symboliser l’avenir. D’un côté, de nouveaux chrétiens, chantant des psaumes, se mettent en marche sous la conduite de trois anges : c’est le christianisme qui va se répandre dans l’univers. De l’autre côté, Ahasvère s’enfuit, poursuivi par des démons : c’est la destinée de la race juive condamnée à vivre sans patrie.

En quatrième lieu vient la célèbre Bataille des Huns, un véritable chef-d’œuvre. Ce n’est plus ici un fait historique, mais bien un fait légendaire. Kaulbach a voulu illustrer la tradition d’une lutte entre les esprits des Huns et des Romains tombés sur le champ de bataille. Le sol est couvert de cadavres, mais on voit commencer pour les âmes une vie nouvelle : elles se réveillent peu à peu, secouent le poids du sommeil, et s’élèvent par légions dans l’air pour y reprendre le combat. Des femmes animées de la fureur guerrière s’efforcent de rappeler à la conscience de lui-même un barbare tombé sous son cheval. Les deux races en présence sont parfaitement caractérisées : ici la grossièreté sauvage, là une civilisation