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au moyen du dessin le développement d’un principe ou d’une idée ? On ne peut offrir aux yeux ou à l’imagination qu’une succession de faits ; quant au rapport de causalité qui les enchaîne, le livret seul est capable de l’exprimer, car les abstractions sont du domaine de la parole. Ce rapport peut être conçu par la raison, il n’est pas susceptible d’être saisi par les sens. Il est certain que Kaulbach est tombé plus d’une fois dans les aberrations de la peinture allégorique ; c’est la religion dans laquelle il avait été élevé, et dont sa maturité n’a jamais pu se dépouiller entièrement. Les arabesques qui entourent les grandes compositions dont nous allons parler, et qui complètent la décoration du vestibule qui les renferme, sont tout à fait dans le style symbolique, et cependant c’est dans sa manière de traiter le symbole et l’allégorie que Kaulbach se montre précisément en réaction contre tous les défauts de Cornélius et de son école. Chez ces derniers, le symbole occupait la première place, il était tout pour ainsi dire ; chez Kaulbach, il n’a réellement qu’un rôle secondaire, ce n’est plus que la matière du tableau. Dans Cornélius, une fois le sens du symbole compris, l’œuvre a produit tout son effet ; elle n’offre rien de beau et de pittoresque, rien d’esthétique, rien qui puisse agir sur la sensibilité. Dans Kaulbach, c’est précisément le contraire ; le tableau se fait admirer tout d’abord par une qualité frappante, par la beauté et l’harmonie des groupes. À cet égard, le peintre contemporain ne le cède à aucun des grands maîtres de l’art classique. Avec lui, c’est le goût qui est le premier mis en jeu, et c’est seulement par une réflexion qui ne peut venir que plus tard qu’on s’interroge sur le sens de l’œuvre ; on ne découvre les défauts du penseur qu’après avoir applaudi le peintre. Au lieu des hiéroglyphes de Cornélius, on se trouve en face d’un art empreint de l’idéalisme le plus élevé et en même temps le plus classique, car il est toujours dans la voie de la beauté.

Non-seulement Kaulbach a restitué au goût toutes ses prérogatives, mais il a rendu à l’art son universalité, également compromise par Cornélius. La spéculation métaphysique est un champ vague où viennent se combattre les systèmes les plus contradictoires : le peintre qui fait des excursions sur ce domaine est obligé d’adopter tel système, et s’expose par cela même non-seulement à être blâmé par tous ceux qui appartiennent à d’autres écoles, mais encore à ne plus être compris quand son système aura fait son temps et sera universellement rejeté ; il ne peint réellement que pour ceux qui ont avec lui une communauté de pensée. C’est ainsi que Cornélius avait récusé le tribunal impartial du goût pour se livrer à toutes les vicissitudes de la théorie. Les compositions de Kaulbach peuvent au contraire, par leur beauté même et en dehors de leur signification, produire sur tout le monde, malgré la