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fait « un tableau de genre, » comme disent les peintres. Si au contraire il a pour but de ramener l’imagination vers le poème, de faire penser, comme le peintre réaliste, à la chose représentée, si on ne peut le comprendre qu’à la condition d’avoir lu un livre, comme on ne comprend tant de toiles historiques qu’à la condition de consulter un livret, son œuvre devient analogue aux compositions d’histoire. Dans le premier cas, le dessinateur a cherché avant tout à produire l’impression propre à son art ; dans le second cas, il s’est attaché principalement à l’exactitude de la représentation. Il faut avouer que dans ce dernier procédé il y a souvent un véritable abus. Le peintre est excusable de négliger le côté esthétique de la peinture quand il consacre son talent à représenter de grands événemens dont il est utile de conserver le souvenir ; mais cette utilité ne peut plus être invoquée lorsqu’il s’agit d’un événement fictif et tout poétique. Si Kaulbach mérite des éloges pour avoir, en traduisant Goethe, garde sa propre originalité et avoir offert des scènes charmantes à nos regards, il est à blâmer d’avoir entrepris le commentaire de Shakspeare, dont les tragédies ne fournissent que rarement la matière d’un dessin complet en lui-même : il est impossible, par exemple, de comprendre, sans le secours du poète anglais, les illustrations de Macbeth ou de la Tempête. Pourquoi l’artiste s’est-il donc engagé dans une voie où il n’est pas capable de marcher seul ?

Bien des dessins humoristiques de Kaulbach ont été publiés dans des almanachs de Munich ou dans des brochures populaires ; mais son chef-d’œuvre en ce genre, et la première production éclatante qui a commencé d’attirer sur lui l’attention, c’est son célèbre tableau de la Maison de fous. On ne saurait unir plus intimement dans le même sujet le grotesque et le pathétique. Ce tableau est d’une saisissante vérité ; la signification en est claire et frappante. Chacun de ces malheureux a son idée fixe, et ce qui le rend tristement risible, c’est qu’il prend une chimère pour la réalité. Cette œuvre est trop connue en France pour qu’il soit nécessaire d’en donner ici une description détaillée. L’esprit qui forme le fond de ces compositions satiriques se retrouve dans les élémens des grands tableaux d’histoire de Kaulbach. Il faut toutefois un examen attentif pour le découvrir là où il va se cacher, et voilà pourquoi, lorsque l’impression produite par l’ensemble de l’œuvre est épuisée, on trouve encore du charme à la contempler dans ses moindres détails ; là nous attendent de véritables surprises, et l’imagination s’y récrée sans cesse. La grande fresque de la Tour de Babel montre dans un coin, à gauche, un jeune veau qui vient avec une docilité charmante prendre de l’herbe dans la bouche de sa mère, thème qui, pour certains peintres d’animaux, suffirait aisément à une composition tout entière ; à droite, et sans doute pour faire pendant