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a-t-il pas rendu service en composant à sa mort ce traité de la Consolation qui était rempli de son éloge. Une jeune femme si malheureuse méritait une élégie ; un traité philosophique semble lourd à sa mémoire. N’est-il pas possible que son père l’ait un peu gâtée en voulant la rendre trop savante ? C’était assez l’habitude à ce moment. Hortensius avait fait de sa fille un orateur, et l’on prétend qu’elle plaida un jour une cause importante mieux qu’un bon avocat. Je soupçonne que Cicéron avait voulu faire de la sienne un philosophe, et je crains qu’il n’y ait trop bien réussi. La philosophie présente bien des dangers pour une femme, et Mme de Sévigné n’eut pas beaucoup à se louer d’avoir mis sa fille au régime de Descartes. Cette figure pédante et sèche n’est pas propre à nous faire aimer les femmes philosophes. Il y a des connaissances et des études qui me semblent mieux appropriées à leur tour d’esprit. Quoique La Bruyère prétende qu’on ne peut rien mettre au-dessus d’une belle personne qui aurait les qualités d’un honnête homme, j’avoue qu’il m’est aussi difficile de souhaiter à une femme les qualités et les talens d’un homme que de lui en souhaiter le visage et les traits.

La philosophie réussit moins bien encore au fils de Cicéron, Marcus, qu’à sa fille. Son père se trompa complètement sur ses goûts et ses aptitudes, ce qui n’est pas très extraordinaire, car la tendresse paternelle est souvent plus vive qu’éclairée. Marcus n’avait en lui que les instincts d’un soldat, Cicéron voulut en faire un philosophe et un orateur ; il y perdit sa peine. Ces instincts, un moment comprimés, reparaissaient toujours avec plus de violence. À dix-huit ans, Marcus vivait comme tous les jeunes gens de cette époque, et l’on était forcé de lui faire des représentations sur ses dépenses. Il s’ennuyait des leçons de son maître Dionysius et de la rhétorique que son père, essayait de lui apprendre. Il voulait partir pour faire la guerre d’Espagne avec César. Au lieu de l’écouter, Cicéron l’envoya à Athènes pour y achever son éducation. On lui fit une maison, comme au fils d’un grand seigneur. On lui donna des affranchis et des esclaves, afin qu’il pût paraître avec autant d’éclat que les jeunes Bibulus, Acidinus et Messala, qui étudiaient avec lui. On lui attribua pour sa dépense annuelle,100,000 sesterces (20,000 francs), ce qui semble une pension raisonnable pour un étudiant en philosophie ; mais Marcus était parti de mauvaise grâce, et le séjour d’Athènes n’eut pas pour lui lest résultats que se promettait Cicéron. Loin des yeux de son père, il se livra à ses goûts sans retenue. Au lieu de suivre les cours des rhéteurs et des philosophes, il s’occupa de bons dîners et de fêtes bruyantes. Sa vie fut d’autant plus dissipée qu’à ce qu’il paraît il était encouragé dans ses désor- dres