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sur les ruines de Jérusalem sont de belles compositions, simples et grandioses à la fois. Malheureusement presque toutes les autres œuvres de l’école à cette époque sont empreintes d’un défaut qui tient aux circonstances mêmes au sein desquelles elles étaient conçues. On y sent une timidité toute provinciale, un goût qui n’est pas sûr de lui-même. Pas d’idées larges et élevées, pas de créations originales ; la conception reste molle et fade, le dessin est vague et le coloris monotone. La poésie romantique de Tieck et d’Uhland est à peu près l’unique source d’inspiration où s’abreuve cet art qui prend pour mot d’ordre ces quatre vers de l’auteur de Phantasus si souvent cités en Allemagne :

Mondbeglänzte Zaubernacht,
Die den Sinn gefangen hält,
Wundervolle Märchenwelt,
Steig’ auf in der alten Pracht[1] !


Scènes de croisades ou de chevalerie, contes de fées, légendes populaires, voilà ses sujets de prédilection : il s’attache aux dames blanches et aux chasseurs noirs, aux Geneviève, aux Mignon, aux Marguerite, à tout ce qui est idyllique et vaporeux, aux anges, aux elfes et aux chérubins.

On vit cependant, au milieu de cette blonde école, se manifester une brillante exception. Charles Lessing est un des noms illustres de la peinture moderne : c’est un artiste selon le cœur de l’Allemagne ; il a cultivé le sentiment national, ce sentiment du sublime qui occupe la première place dans le goût germanique. Le but qu’Albert Dürer avait poursuivi dans ses compositions humoristiques et Overbeck dans ses toiles religieuses, Lessing s’est appliqué à l’atteindre dans ses tableaux historiques et surtout dans ses paysages. Lessing, il est vrai, reste parfois en route ; souvent on ne sent chez lui que l’intention et l’effort. Il tombe dans la recherche et dans la subtilité ; il a trop de prédilection pour tout ce qui est outré. Il a beau, dans ses compositions d’histoire, s’attacher aux sujets les plus tragiques et les plus saisissans (Ezzelin en prison, Jean Huss sur le bûcher) : les physionomies de ses personnages, quoique fort travaillées, n’ont pas toujours un sens clair et frappant, et son coloris manque parfois de vérité. On a prétendu que Lessing avait fait de la peinture symbolique, que par exemple, dans sa toile célèbre de Jean Huss devant le concile de Constance, qui se trouve à l’institut Staedel, de Francfort, tel personnage représentait le dogme inflexible, tel autre le jésuitisme, un troisième la force brutale, un autre encore la luxure et l’orgueil ecclésiastiques, que

  1. « Nuit magique, éclairée par la lune, et qui captives l’ame, monde plein de contes merveilleux, renaissez dans votre ancienne splendeur. »