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depuis l’exclusion de Gerdil, le choix était devenu impossible, soit à cause de l’âge, soit par suite de circonstances personnelles. L’unique moyen de concilier les intérêts des deux partis était donc que l’un d’eux prît le nouveau pontife dans le camp même de son rival. De la sorte tout le monde serait content, — ceux du parti dans lequel on aurait choisi le pape, parce que le pontife nouveau sortirait de leurs rangs, et les autres, parce qu’ils l’auraient eux-mêmes désigné dans le camp opposé. Par une trame « si bien ourdie » (ce sont les expressions de Consalvi), Maury se flattait de sauvegarder l’amour-propre de tous les cardinaux, et de garantir l’affection commune du souverain pontife à des collègues qui auraient tous également contribué à son exaltation.

Le premier pas ainsi heureusement franchi, venait l’embarras de l’élection à faire. Maury y avait également songé. Il avait son choix tout prêt. D’après lui, le candidat ne pouvait être pris que dans le camp de Bellisomi, et tout de suite il nomma à Consalvi étonné le cardinal Chiaramonti, évêque d’Imola. Jusqu’alors on avait à peine fait attention à Chiaramonti dans le conclave ; son nom n’avait jamais été prononcé comme celui d’un candidat possible, papabile ? ainsi que disent les Italiens. Ce n’est pas que le pieux évêque d’Imola ne fût entouré de l’estime et de l’affection universelles. Personne n’était au contraire plus que lui goûté de ses collègues et considéré du public. Une grande douceur de caractère, une très aimable gaîté dans le commerce habituel de la vie, une pureté de mœurs incomparable, une grande sévérité de conduite sacerdotale jointe à la plus facile indulgence pour les autres, une sagesse constante dans la conduite des deux diocèses confiés à ses soins, une science profonde dans les études sacrées, le renom enfin d’excellent homme dont il jouissait partout, tels étaient, pour parler la langue ecclésiastique du sacré-collège, les titres intrinsèques qui l’auraient naturellement désigné au choix des cardinaux, si de graves empêchemens extrinsèques n’avaient d’autre côté rendu sa nomination ; à peu près impossible. A ne consulter que les traditions ordinaires du sacré-collège, cette nomination ; était en effet impossible. Personne ne l’ignorait à Venise, et les témoins des funérailles du défunt pape avaient exprimé à la fois leur, vénération pour Chiaramonti et le sentiment profond des obstacles qui s’opposaient à son élection lorsque, se montrant, les cardinaux assis, l’office et désignant Chiaramonti, ils s’étaient dit les uns aux autres : « Quel dommage que ce conclave soit celui qui va donner un successeur à Pie VI ! S’il y avait un pape entre les deux, en trois jours on nommerait le nouveau, et ce serait celui-là ! » Ces obstacles, qu’avec leur finesse italienne les gondoliers des lagunes devinaient si bien, Consalvi nous les détaille plus au long dans ses mémoires. Chiaramonti était de