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tantôt sur un autre. On les appelait, à cause de cette indécision calculée, les volans (volanti). C’est à eux qu’il était le plus naturel de songer d’abord. Parmi les volans, puisque c’est le nom qui leur fut donné dans le conclave, se trouvait un cardinal d’une probité parfaite, d’une science infinie et d’une vertu particulière, le barnabite Gerdil. Tant de mérites, l’avantage de n’avoir appartenu à aucune des deux factions, sa qualité de régulier, et « son âge avancé, ajoute Consalvi, qui n’ôterait pas l’espérance de lui succéder à ceux qui éprouveraient l’effet de cette faiblesse humaine, » lui donnaient de grandes chances ; mais Gerdil était né en Piémont, pays dernièrement occupé par l’Autriche, qui avait de grandes vues sur ce royaume. Là était l’obstacle. Consulté par le doyen du sacré-collège, qui voulait éviter au savant barnabite le désagrément d’une inutile épreuve, Herzan répondit qu’il ne fallait point penser à ce cardinal, et que le choix en était impossible. Sans cette exclusion, Gerdil aurait été nommé. C’était le second pape que repoussait le gouvernement impérial.

A défaut de Gerdil, on essaya de mettre en avant les noms de ceux qui d’ordinaire votaient avec lui ; mais ce fut sans succès. Après ces nombreuses et vaines tentatives, et pour éviter le dommage et le scandale causés par une vacance trop prolongée du saint-siège au milieu de circonstances aussi critiques, il ne restait plus qu’à tâcher de ramener un peu d’accord entre les deux factions qui se partageaient le conclave. Les plus sages s’y employèrent, et mirent en avant une assez adroite combinaison. Il fut convenu que chacun des deux partis désignerait dans son propre sein trois de ses membres, ceux qu’il jugerait les plus acceptables pour le camp opposé. C’étaient six cardinaux sur les noms desquels on devait essayer les chances du scrutin. L’épreuve ne leur fut pas plus heureuse : on était ainsi arrivé à la fin de février. Le sacré-collège siégeait depuis trois mois, et, grâce à l’obstination des partis, il n’était pas plus avancé qu’au premier jour. L’esprit de faction gagnait insensiblement tous les cœurs, et le bruit des murmures publics, perçant à travers les murailles du conclave, commençait à se faire entendre jusqu’aux oreilles des cardinaux. C’est alors, dit Consalvi, qu’il arriva ce dont parle le Saint-Esprit dans les divines Écritures et ce que confirme l’expérience quotidienne des affaires de ce monde : vexatio dat intellectum.

Mais, afin de mieux comprendre ce qui va se passer au sein du conclave, il devient nécessaire que nous en sortions pour un instant ; il faut, si nous voulons rester dans la vérité, il faut, dis-je, que nous fassions leur place dans ce récit à de grands événemens qui étaient alors en train de s’accomplir loin de Venise et sur un tout