Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant la durée des négociations de Tolentino. Son collègue en cette épineuse circonstance, le duc Braschi, neveu du défunt pape, était là pour raconter, au besoin, comment il avait vu à Tolentino ce prince de l’église se jeter à genoux pour implorer la protection du second plénipotentiaire français, M. Cacault[1].

La mission du cardinal Herzan était embarrassante ; il ne s’y épargna point. Allant trouver en toute hâte et avec grande inquiétude le doyen du sacré-collège, le cardinal Albani, il lui représenta, dans un discours fort étudié, combien il était nécessaire aux intérêts du saint-siège que le nouveau pape fût agréable à l’empereur, qui possédait presque tout l’état de l’église, et dont il importait tant de s’assurer la bienveillance. La personne du cardinal Bellisomi, bien qu’ornée de toutes les qualités, n’était pas, croyait-il, celle qui serait, de préférence à toute autre, acceptée par sa majesté impériale. Herzan ajouta que, de source certaine, il savait combien le choix du cardinal Mattei serait bien plus volontiers agréé à Vienne. Il fallait donc que son éminence le doyen du sacré-collège usât de tout son crédit sur l’esprit des cardinaux pour qu’ils unissent leurs forces aux siennes, afin de faire réussir l’élection de Mattei au lieu de celle de Bellisomi ou de tout autre. Albani étonné s’empressa de répondre que l’élection de Bellisomi, amenée sans aucun artifice, sans l’ombre d’intrigue, était maintenant si avancée par le nombre de voix recueillies et le concours surprenant de tant de volontés, qu’il n’était plus possible de la contrecarrer. Il y fallait d’autant moins penser qu’il semblait résulter des propres paroles du cardinal Herzan que le choix de Bellisomi ne pourrait être odieux à sa majesté impériale, mais seulement qu’un autre lui serait plus agréable. Herzan ne se rendant point et reproduisant toujours les mêmes insistances, le doyen du sacré-collège prit le parti de le serrer de plus près et de lui demander si, dans le secret de la cour, on avait formellement prononcé l’exclusive à l’égard

  1. Disons, pour expliquer les terreurs peut-être un peu exagérées du cardinal Mattei à Tolentino, qu’il avait précédemment fait connaissance avec le jeune vainqueur de l’Italie d’une façon propre à jeter quelque trouble dans son esprit. Ce cardinal, archevêque titulaire de Ferrare, voyant en 1790 les Français évacuer sa ville après l’armistice de Bologne et sachant que les Autrichiens montraient la prétention de tenir garnison dans la citadelle, y avait introduit les troupes du pape. Bonaparte, à cette nouvelle, était entré en fureur ; il avait mandé Mattei à son quartier-général de Brescia. « Savez-vous bien, monsieur, s’était-il écrié en l’abordant, que je pourrais vous faire fusiller ? — Vous en êtes le maître, avait répondu le cardinal ; je ne demande qu’un quart d’heure pour me préparer. — Il n’est pas question de cela, avait repris Bonaparte ; comme vous êtes animé !… » La menace n’avait pas été bien sérieuse sans doute ; cependant l’émotion était naturelle, et l’on comprend que la vue du général Bonaparte troublât encore à peu de temps de distance le pauvre cardinal.