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Consalvi apprécie les gens simplement, sans magnifier même les hommes supérieurs ; mais, pour son propre compte, il a garde de se poser en triomphateur. Loin de là, il nous initie sans fausse honte à ses faiblesses, à ses perplexités, à ses tremblemens, à toutes ses épouvantes d’Italien, lorsqu’il est mis tout à coup face à face du terrible grand homme qu’il redoute à la fois et qu’il aime. Victime, il ne prétend pas l’avoir été dupe, il ne le fut jamais de Napoléon ni de personne. Les grandes scènes jouées devant lui l’ont d’abord surpris et comme effarouché. Il s’y fait vite, au point de ne s’en plus troubler et même d’en tirer profit. C’est plaisir, — un plaisir d’art, sérieux toutefois, — lorsque Consalvi arrive à Paris, de voir le premier consul employant au début l’intimidation, la contrainte et toute sorte de ruses, battu successivement dans toutes ses voies, moins irrité toutefois qu’étonné de ses défaites, à la fin presque calmé, et doucement amené, moitié séduisant, moitié séduit, à s’entendre avec un adversaire qui l’a si complètement deviné, et qui possède le don de se défendre si bien. Les scènes de ce genre abondent dans les mémoires du cardinal, et son mérite est de les rendre en toute vérité.

La vérité détaillée, familière, animée et vivante, la vérité non-seulement sur les grandes choses, mais sur les moyennes aussi et sur les petites, la vérité sur les personnes, non pas seulement sur l’ensemble de leurs actes et de leurs caractères, mais sur leurs procédés et leurs allures, n’est-ce point là ce que les esprits réfléchis doivent avant tout rechercher dans l’étude des temps passés ? Si la vie des peuples n’est, comme celle des individus, qu’un long enseignement, à quelle école, nous autres simples mortels, pourrons-nous apprendre mieux à nous défier des faciles entraînemens et des pièges de toute espèce tendus à notre crédulité, sinon à celle de ces bienfaisans révélateurs qui nous apprennent sans déguisement, sans emphase, comment se sont réellement traitées entre les plus grands personnages les plus grandes affaires de ce bas monde ? « Il y a, dit quelque part un éminent critique, il y a une sorte d’histoire qui se fonde sur les pièces mêmes et les instrumens d’état, les papiers diplomatiques, les correspondances des ambassadeurs ;… puis il y a une histoire d’une tout autre physionomie, l’histoire morale écrite par des acteurs et des témoins. » A mon sens, cette dernière est la meilleure, je veux dire au moins la plus instructive, la plus profitable, la seule qui serve à dessiller les yeux, à ouvrir les intelligences, à combattre les funestes engouemens, à éviter les désagréables mystifications. Ce qui nous importe, c’est de connaître les gens par la levée du rideau qui les couvre, suivant l’heureuse expression de. Saint-Simon. « Nous devons nous instruire