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« J’en reviens (ajoute-t-il), à ces vils habitans qui au milieu de leurs voisins sont comme des lézards entre des couleuvres ; ils ne piquent pas… Quand les tribus défendaient l’honneur kabyle, où étaient-ils ? Ils étaient allés faire paître leurs troupeaux…

« Vous pouvez jouer sans crainte devant la bouche de leurs fusils : ils n’ont jamais tué personne. Je les accepterais volontiers comme porteurs de civière, ils sauraient la manœuvrer doucement. »


Cette chanson circulait déjà dans la montagne quand les Aït-Erba se firent gloire d’avoir tué un sanglier dangereux, belle occasion pour le poète, qui s’empressa d’ajouter ce couplet de circonstance :


« Le samedi fut un jour terrible ! Ils commencèrent les hostilités et se mirent en campagne contre un sanglier… L’animal en extermina deux. Le moment était solennel ; survint heureusement un citoyen d’un village voisin, noble enfant qui frappa le sanglier à la tête. Il les a tirés de peine ; sans lui Ils étaient tous perdus. »


Même esprit dans d’autres chansons du même poète, qui, tout en déchirant autrui à belles dents, se délivre volontiers un brevet de justice :


«… Jamais, dit-il, on ne trouvera rien de défectueux dans mes vers ; quand je frappe, c’est que j’ai vu le but… Un jour que j’avais commis quelque faute (le Dieu qui nous conduit l’avait ainsi voulu !), j’allai à Iril-Mahad[1]… J’y trouvai non pas un homme, mais une espèce de perche aux jambes brûlées… On aurait taillé des lanières dans sa peau… Je le vis inquiet ; un tremblement le saisit à mon approche, et il murmura ces mots : « Que chacun aille chez ses amis ! »


Le grand crime de ce pauvre diable était de n’aimer point les parasites, crime impardonnable aux yeux du poète, dont la gourmandise blessée éclate dans ce trait charmant :


« Le kousskouss était en pleine vapeur : le maître du logis n’a même pas eu le cœur de m’inviter ; ce jour-là s’est dévoilée sa honte !… »


Et il ne quitte pas la demeure inhospitalière sans se venger par ce vœu méchant :


« La femme a mis bas sept petits dont l’un me paraît être la faim et l’autre l’usure ; puissent-ils ne jamais sortir de la maison paternelle ! »


Dans le genre léger, — souvent trop léger, — les hommes ont des chansons particulières et les femmes ont les leurs ; il en est aussi qui forment des espèces de duos où hommes et femmes se répondent.

  1. Village de la tribu des Mechdallah, dans l’Oued-Sahel.