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hommes. L’argent est leur premier souci. Elles font valoir leurs biens, elles placent leurs fonds, elles prêtent et elles empruntent. Nous en trouvons une parmi les créanciers de Cicéron, et deux parmi ses débiteurs. Seulement, comme elles ne pouvaient pas toujours paraître elles-mêmes dans ces entreprises de finance, elles avaient recours à quelque affranchi complaisant ou à quelque homme d’affaires suspect qui surveillait leurs intérêts et profitait de leurs bénéfices. Dans son discours pour Cæcina, Cicéron, rencontrant sur son chemin un personnage de cette espèce, dont c’était le métier de s’attacher à la fortune des femmes et souvent de faire la sienne à leurs dépens, le dépeint en ces termes : « Il n’y a pas d’homme que l’on trouve davantage dans la vie ordinaire. Il est le flatteur des dames, l’avocat des veuves, un chicaneur de profession, amoureux de querelles, grand coureur de procès, ignorant et sot parmi les hommes, habile et savant jurisconsulte avec les femmes, intrigant vulgaire, adroit à séduire par les apparences d’un faux zèle et d’une amitié hypocrite, empressé à rendre des services quelquefois utiles, rarement fidèles. » C’était un guide merveilleux à l’usage des femmes tourmentées du désir de faire fortune ; aussi Térentia en avait-elle un auprès d’elle, son affranchi Philotimus, homme d’affaires habile, mais peu scrupuleux, à qui ce métier avait réussi, puisqu’il était riche et qu’il avait lui-même des esclaves et des affranchis. Dans les premiers temps, Cicéron se servait souvent de lui, sans doute à la prière de Térentia. C’est lui qui lui fit acheter à bas prix une partie des biens de Milon, quand Milon fut exilé. L’affaire était bonne, mais peu délicate, et Cicéron, qui le sentait bien, n’en parle qu’en rougissant. À son départ pour la Cilicie, il laissa à Philotimus l’administration d’une partie de sa fortune, mais il ne tarda pas à s’en repentir. Philotimus, en intendant de grande maison, s’occupa moins des intérêts de son maître que des siens. Il garda pour lui les profits qu’il avait faits sur les biens de Milon, et au retour de Cicéron il lui présenta un mémoire par lequel il était son créancier d’une somme importante. « C’est un merveilleux voleur ! » disait Cicéron furieux. À ce moment, ses soupçons n’allaient pas plus loin que Philotimus ; lorsqu’il revint de Pharsale, il s’aperçut bien que Térentia était sa complice. « J’ai trouvé les affaires de ma maison, disait-il à un ami, dans un état aussi mauvais que celles de la république. » La détresse dans laquelle il se voyait à Brindes le rendit méfiant. Il regarda ses comptes de plus près, ce qui ne lui était pas ordinaire, et il ne lui fut pas difficile de reconnaître que Térentia l’avait souvent trompé. En une seule fois, elle avait retenu 60,000 sesterces (12,000 francs) sur la dot de sa fille. C’était un beau bénéfice ;