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L’hypothèque et les privilèges ont aussi leur place dans la loi kabyle. En matière d’hypothèque, la coutume traite durement l’emprunteur et rend le prêteur usufruitier de tout ou partie du bien hypothéqué jusqu’à restitution entière de la somme. Comme notre code, elle reconnaît un privilège au vendeur non payé ou à l’acheteur qui a payé sans que la chose lui fût livrée ; mais pourquoi une créance privilégiée au marchand de talismans ? C’est que les amulettes sont fort en honneur dans la montagne, et le Kabyle se suspend au cou volontiers de petits carrés de parchemin ou de métal couverts de figures et de paroles qui doivent lui porter bonheur.

Quand un Kabyle a des dettes qui paraissent excéder la valeur totale de ses biens, il est passible tout comme nous de l’expropriation forcée. Les créanciers demandent d’abord à la djemâ d’interdire au débiteur de vendre ou d’acheter jusqu’à ce qu’il ait présenté son bilan ; faute de l’avoir dressé avant un terme prescrit, il subit l’expropriation. Enfin la théorie de la prescription a pareillement sa trace dans la loi kabyle, et s’applique, en matière de vente, au droit de chefâ, qui se prescrit dans le bref délai de trois jours. Pour les meubles, possession vaut titre ; mais, quant aux objets volés ou aux immeubles, point de prescription acquisitoire : la chose volée doit être reprise entre toutes les mains, dans n’importe quel délai, et lorsque le propriétaire d’un immeuble possédé même de bonne foi par un autre a pu prouver ses titres, l’occupant est rigoureusement dépossédé, quelle que soit la durée de sa possession.

Ces rapprochemens suffiront à prouver que la coutume kabyle est plus complète et plus voisine de notre législation qu’on ne devait l’attendre d’un peuple primitif. Cette coutume ne se conserve que par tradition dans les mémoires, chaque génération l’enseigne à la suivante, et nous serions certes un sujet de surprise, peut-être de dédain pour le Kabyle, s’il apprenait que dans notre France, où la loi est écrite, bien peu de citoyens connaissent leurs droits et leurs devoirs comme tout Kabyle connaît les siens.


III

Les règles posées par la coutume, qui les applique ? qui rend la justice ? De droit, c’est l’assemblée du peuple ; de fait, — au moins en matière civile, — ce sont des arbitres appelés ulémas (savans) à qui la djemâ cède son pouvoir judiciaire pour ne se réserver que la consécration suprême des jugemens. Les moindres procès, apportés à la barre de la djemâ y pourraient, avec l’animosité des soffs, dégénérer en sujets de querelles et de luttes qui nécessiteraient l’intervention conciliante des marabouts. Avoir recours dès