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l’acceptes, tu en peux recueillir toutes les créances, tu en dois donc payer toutes les dettes, » En matière de donations et de testamens, la coutume diffère également de notre code : par donation, le Kabyle a droit de disposer de tout son bien ; par testament, la quotité disponible est du tiers seulement. Bien peu de Kabyles sachant écrire, le testament légal se fait toujours devant témoins. La loi française ne permet de donner entre vifs ou par testament que si l’on est sain d’esprit ; la coutume kabyle exagère ce principe jusqu’à interdire de donner ou de tester durant un voyage sur mer ou à la veille d’une bataille : elle juge dans ces deux cas qu’il y a trouble d’esprit, parce qu’il y a danger de mort. Les Kabyles connaissent presque tous nos contrats. Pour la vente, ils suivent des principes analogues aux nôtres, sauf le droit de chefâ, qui leur est spécial. La vente des immeubles s’opère avec solennité et se constate le plus souvent par des actes écrits d’une précision irréprochable. Ces actes indiquent minutieusement les limites, les produits, le prix de la chose vendue, et ne manquent jamais de porter cette clause expresse, que « l’argent a été reçu par le vendeur en monnaie bien frappée, en pièces ayant le poids voulu et exemptes de défauts. »

Mais c’est surtout en ce qui regarde les associations que la coutume est curieuse par la diversité des cas qu’elle prévoit. Le goût de l’association forme un trait frappant du caractère kabyle ; l’assurance mutuelle se rencontre partout, dans la tribu, dans le village, dans les familles : le forgeron s’associe au laboureur, le colporteur au tisserand ; si l’un a une année mauvaise, il vit des bénéfices de l’autre. L’association entre familles établit de véritables communautés dans lesquelles entrent parfois jusqu’à vingt ménages différens. L’argent que chacun gagne est versé à la masse, quiconque manquerait à ce devoir serait chassé ; une sorte de pater familias administre et doit ses comptes dès qu’on les lui demande ; tout associé a droit de surveillance sur les femmes et de correction sur les enfans de la communauté.

Formellement proscrit par la loi musulmane, le prêt à intérêt est légal en Kabylie : 33 pour 100, voilà l’intérêt ordinaire, et parfois 60 pour 100 ; on a même vu prêter à 5 pour 100 d’un marché à l’autre, c’est-à-dire pour une semaine. Si énorme que semble ce taux, personne ne songe à le trouver usuraire ; du moment où le contrat existe par consentement mutuel, il est juste. Au reste, dès que le Kabyle a un peu d’argent, il n’aime pas à le laisser dormir : son esprit se tourne vers les conventions aléatoires. Les jeux de bourse lui plairaient sans doute ; il s’y essaie dans sa petite sphère et tente hardiment déjà la spéculation en vendant ou achetant d’avance la moisson future.