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consolé. Il l’éloigne de lui, et sans y mettre beaucoup de façons. « Je ne vois pas, si vous venez, lui dit-il, à quoi vous pouvez m’être utile. » Ce qui rendait cette réponse plus cruelle, c’est qu’au même moment il faisait venir sa fille et se consolait dans son entretien. Quant à sa femme, elle n’obtient plus de lui que des billets de quelques lignes, et il a le courage de lui avouer qu’il ne les fait pas plus longs parce qu’il n’a rien à lui dire. En même temps il la renvoie, pour savoir les décisions qu’il a prises, à Lepta, à Trebatius, à Atticus, à Sicca. C’est montrer assez clairement qu’elle n’a plus sa confiance. La seule marque d’intérêt qu’il lui donne encore, c’est de lui demander de temps en temps de soigner sa santé, recommandation assez superflue, puisqu’elle vécut plus de cent ans ! La dernière lettre qu’il lui adresse est tout à fait celle qu’on écrirait à un intendant pour lui intimer un ordre. « Je compte être à Tusculum le 7 ou le 8 du mois, lui dit-il ; ayez soin de tout préparer. J’aurai peut-être avec moi plusieurs personnes, et vraisemblablement nous y serons quelque temps. Que le bain soit prêt et qu’il ne manque rien des choses qui sont nécessaires à la vie et à la santé. » A quelques mois de là, une séparation que ce ton fait prévoir eut lieu entre les deux époux. Cicéron répudia Térentia après plus de trente ans de mariage, et quand ils avaient des enfans et des petits-enfans.

Quels furent les motifs qui le poussèrent à cette fâcheuse extrémité ? Il est probable que nous ne les savons pas tous. L’humeur désagréable de Térentia a dû amener souvent dans le ménage de ces petites querelles qui, en revenant sans cesse, finissent par user les affections les plus solides. Vers l’époque où Cicéron fut rappelé de l’exil, quelques mois à peine après qu’il avait écrit ces lettres passionnées dont j’ai parlé, il disait à Atticus : « J’ai quelques chagrins domestiques que je ne puis pas vous écrire. » Et il ajoutait, pour être compris : « Ma fille et mon frère m’aiment toujours. » Il faut croire qu’il avait bien lieu de se plaindre de sa femme pour l’omettre ainsi de la liste des personnes dont il se croyait aimé. On soupçonne aussi que Térentia a pu être jalouse de l’affection que Cicéron témoignait à sa fille. Cette affection avait des excès et des préférences qui pouvaient la blesser, et elle n’était pas femme à en souffrir sans se plaindre. Il est à croire que ces discussions ont préparé et amené de loin le divorce, mais elles ne le décidèrent pas. Le motif en fut plus prosaïque et plus vulgaire. Cicéron le justifie par les gaspillages et les détournemens de sa femme, et il l’accuse plusieurs fois de l’avoir ruiné à son profit. Un des caractères les plus curieux de cette époque, c’est que les femmes y paraissent aussi occupées d’affaires, aussi avides de spéculations que les