Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malheureusement c’est en France peut-être que l’Algérie compte parmi les esprits prompts à désespérer ses plus violens adversaires ; ils sont las de s’occuper d’elle : elle n’est plus à leurs yeux qu’une terre ennemie, qui pèse sur la métropole comme un lourd fardeau. Plus que jamais c’est un devoir, ce nous semble, pour qui connaît un peu ce cher pays d’Afrique, de jeter, si faible qu’elle soit, quelque vraie lumière sur ce qui le touche. Dans les découragés d’aujourd’hui, il serait aisé de reconnaître les trop confîans d’hier. À ceux-là, ingrats envers la mère-patrie de nos jeunes gloires militaires et la précieuse école de notre armée, il importe de répondre que la crise algérienne n’a pas tout compromis, puisqu’elle a rendu plus manifeste l’heureuse tendance du pur élément kabyle à se concilier avec nous.

Que l’affinité de la race kabyle pour la nôtre se trouve en germe dans ses institutions nationales, qu’elle ait été heureusement exploitée déjà par la conquête française, qu’elle soit susceptible de s’accroître encore, c’est ce que nous pensons prouver en examinant successivement l’état de la société kabyle du Djurdjura avant la campagne de 1857, — l’organisation que la conquête lui a donnée, — les progrès enfin que les aspirations kabyles, aussi bien que l’intérêt français, peuvent réclamer ou permettre. Au reste, une simple esquisse comparative des physionomies, des caractères distincts du Kabyle et de l’Arabe, mettra vite en lumière ce que nous avons de commun avec l’un plutôt qu’avec l’autre. L’Arabe a le teint brun, la barbe noire ; l’air de gravité majestueuse qu’il affecte exclut de son visage toute mobilité d’expression. La tête du Kabyle, blonde aussi souvent que brune, paraît moins fine, mais porte davantage le cachet de l’intelligence ; son aspect est franc, son œil vif, sa figure parle. — L’Arabe, indolent, paresseux, ami du luxe et de l’ostentation, s’absorbe volontiers dans la mollesse d’une vie contemplative ; le Kabyle est l’homme du travail : dès qu’il cesse de remuer le sol avare de sa montagne, c’est l’industrie, c’est le commerce qui l’occupent ; content du nécessaire le plus strict, il ne met jamais de luxe qu’à son fusil, à l’arme qui doit protéger son honneur et sa liberté. « L’Arabe ressemble au chat, disent les Kabyles ; caressez-le, il fera gros dos ; frappez-le, il se fera petit. » En effet, l’Arabe est vain, mais il s’humilie devant le coup de bâton. La fierté du montagnard n’aime à s’abaisser devant personne ; le dernier des Kabyles ne souffrirait point qu’on le frappât sans se venger. — L’Arabe est habitant de la tente et pasteur ; le Kabyle habite une maison de pierres ; il tient de cœur à sa montagne, à son village, à son foyer, qu’il ne quitte jamais que pour son commerce et avec esprit de retour. — L’organisation de la société arabe est aristocratique,