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était, à ce qu’on dit, d’un ton assez libre, et semblait d’abord donner raison aux malins ; mais il faut remarquer que Cœrellia était beaucoup plus âgée que lui, que, loin d’être une cause de trouble dans son ménage, on ne la voit y intervenir que pour le raccommoder avec sa femme, enfin que leur liaison semble avoir pris naissance dans une affection commune pour la philosophie : c’est une origine calme et qui ne fait pas prévoir des suites bien fâcheuses. Cœrellia était une personne instruite, dont la conversation devait plaire beaucoup à Cicéron. Son âge, son éducation, qui n’était pas celle des femmes ordinaires, le mettaient à l’aise avec elle, et, comme il avait naturellement la répartie vive, qu’une fois excité par la verve de l’entretien il ne savait pas toujours gouverner et retenir son esprit, et que d’ailleurs, par patriotisme comme par goût, il ne mettait rien au-dessus de cette gaîté libre et hardie dont Plaute lui semblait le modèle, il a pu se faire qu’il lui ait écrit sans se gêner de ces plaisanteries « plus salées que celles des Attiques et vraiment romaines. » Plus tard, quand cette urbanité rustique et républicaine ne fut plus à la mode, quand, sous l’influence d’une cour qui se formait, la politesse se raffina et les manières devinrent plus cérémonieuses, la liberté de ces propos choqua sans doute quelques délicats et put donner lieu à de méchans bruits. Quant à nous, de toutes les parties aujourd’hui perdues de la correspondance de Cicéron, les lettres qu’il avait écrites à Cœrellia sont peut-être celles que nous regrettons le plus. Elles nous auraient mieux fait connaître que tout le reste les relations de la société et la vie du monde à ce moment.

On pense qu’il avait près de trente ans quand il se maria. C’était vers la fin de la domination de Sylla, à l’époque de ses premiers succès oratoires. Sa femme Térentia appartenait à une famille distinguée et riche. Elle lui apportait en dot, selon Plutarque, 120,000 drachmes (111,000 francs), et nous voyons que de plus elle possédait des maisons à Rome et une forêt près de Tusculum. C’était un mariage avantageux pour un jeune homme qui débutait dans la vie politique avec plus de talent que de fortune, La correspondance de Cicéron ne donne pas une très bonne idée de Térentia. Nous nous la figurons comme une femme de ménage économe et rangée, mais aigre et désagréable. La vie était difficile avec elle. Elle s’entendait peu avec son beau-frère Quintus et encore moins avec Pomponia, sa belle-sœur, qui, du reste, ne s’entendait avec personne. Elle avait sur son mari cette influence que prend toujours une femme volontaire et obstinée sur un esprit irrésolu et indifférent. Cicéron la laissa longtemps maîtresse absolue dans son ménage ; il était bien aise de se décharger sur quelqu’un de ces occupations