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une des meilleures places. Il ne doit pas sa fortune à l’usure, comme Brutus et ses amis ; il ne l’a point augmentée par cette avarice sordide qu’on reprochait à Caton ; il n’a pas pillé les provinces, comme Appius ou Cassius ; il n’a pas consenti, comme Hortensius, à prendre sa part de ces pillages. Il faut donc bien reconnaître que, malgré les reproches qu’on peut lui faire, il était dans ces questions d’argent plus délicat et plus désintéressé que les autres. En somme, ses désordres n’ont fait de tort qu’à lui-même[1], et s’il avait trop le goût des prodigalités ruineuses, au moins n’a-t-il pas eu recours, pour y suffire, à des profits scandaleux. Ces scrupules l’honorent d’autant plus qu’ils étaient alors plus rares, et que peu de gens ont traversé sans quelque souillure la société cupide et corrompue parmi laquelle il vivait.


II

Il ne mérite pas moins d’éloges pour avoir été honnête et rangé dans sa vie de famille. C’étaient encore là des vertus dont ses contemporains ne lui donnaient pas l’exemple.

Il est probable que sa jeunesse fut sévère. Il voulait résolument devenir un grand orateur, et on n’y arrivait pas sans peine. Nous savons par lui combien était dur alors l’apprentissage de l’éloquence. « Pour y réussir, nous dit-il, il faut renoncer à tous les plaisirs, fuir tous les amusemens, dire adieu aux distractions, aux jeux, aux festins, et presque au commerce de ses amis. » C’est de ce prix qu’il paya ses succès. L’ambition dont il était dévoré le préserva des autres passions, et lui suffit. L’étude occupa et remplit sa jeunesse. Une fois ces premières années passées, le péril était moindre ; l’habitude du travail qu’il avait prise et les grandes affaires dont il fut chargé pouvaient suffire à le préserver de tout entraînement dangereux. Les écrivains qui ne l’aiment pas ont vainement essayé de trouver dans sa vie la trace de quelqu’un de ces désordres qui étaient si communs autour de lui. Les plus mal intentionnés, comme Dion, le plaisantent au sujet d’une femme d’esprit, nommée Cœrellia, qu’il appelle quelque part son intime amie. Elle l’était en effet, et il paraît bien qu’elle ne manquait pas d’influence sur lui. On avait conservé et publié sa correspondance avec elle. Cette correspondance

  1. Il n’est pas probable que Cîcéron ait fait tort à ses créanciers comme Milon, qui ne leur donna que 4 pour 100. Au moment de quitter Rome, après la mort de César, Cicéron écrivait à Atticus que l’argent qu’on lui devait suffirait à payer les dettes qu’il avait fuites ; mais comme en ce moment l’argent était rare et comme les débiteurs se faisaient prier, il lui donnait l’ordre de vendre ses biens, s’il en était besoin, et il ajoutait : « Ne consultez là-dessus que ma réputation. »