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l’évalue à plus de 20 millions de sesterces (4 millions de francs). Il ne me semble donc pas douteux que ces héritages, avec les présens qu’il a pu recevoir de la reconnaissance de ses cliens, n’aient été les sources principales de sa fortune.

Cette fortune se composait de biens de diverses sortes. Il possédait d’abord des maisons à Rome. Outre celle qu’il habitait sur le Palatin, et celle qu’il tenait de son père aux Carènes, il en avait d’autres dans l’Argilète et sur l’Aventin qui lui rapportaient 80,000 sesterces (16,000 fr.) de revenu. Il possédait de nombreuses villas dans l’Italie. Nous lui en connaissons huit très importantes[1], sans compter ces petites maisons (diversoria) que les grands seigneurs achetaient sur les principales routes pour avoir où se reposer quand ils allaient d’un domaine à l’autre. Il avait aussi des sommes d’argent dont on voit dans sa correspondance qu’il disposait de diverses manières. Nous ne pouvons guère évaluer avec exactitude cette partie de sa fortune ; mais d’après les habitudes des riches Romains de ce temps on peut affirmer qu’elle n’était pas moins considérable que ses maisons ou ses terres. Un jour qu’il presse Atticus de lui acheter des jardins dont il a envie, il lui dit d’un air de négligence qu’il peut bien avoir 600,000 sesterces (120,000 fr.) chez lui. Nous touchons là peut-être à une des plus curieuses différences qui séparent cet état social du nôtre. Il n’y a guère aujourd’hui que les banquiers de profession chez qui aient lieu des maniemens de fonds aussi considérables. Notre aristocratie a toujours affecté de dédaigner les questions de finance. Celle de Rome au contraire les connaissait bien et s’en préoccupait beaucoup. Ces grandes fortunes étaient mises au service de l’ambition politique. On n’hésitait pas à en hasarder une partie pour se faire des créatures. La bourse d’un candidat aux honneurs publics était ouverte à tous ceux qui pouvaient le servir. Il donnait aux moins riches, il prêtait aux autres, et cherchait à nouer avec eux des liens d’intérêt qui les asservissaient à sa cause. Le succès appartenait d’ordinaire à ceux qui avaient su obliger le plus de monde. Cicéron, quoique moins riche que la plupart d’entre eux, les imitait. Dans les lettres qu’il écrit à Atticus, il est presque partout question de billets et d’échéances, et l’on y voit que son argent circule de tous les côtés. Il est en relations suivies d’affaires, et, comme on dirait aujourd’hui, en compte courant avec les plus grands personnages. Tantôt il prête, et tantôt il emprunte à César.

  1. Sa villa de Tusculum notamment lui avait coûté très cher. Ce qui prouve qu’elle devait avoir une très grande valeur, c’est qu’à son retour de l’exil le sénat lui alloua 500,000 sesterces (100,000 francs) pour réparer les dommages qu’elle avait soufferts pendant son absence, et qu’il trouva qu’on était loin de lui avoir donné assez.