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quelque chose qui pourrait bien à la fin n’avoir plus qu’un intérêt problématique, qui est dans tous les cas d’une littérature fort mêlée. Le malheur de cet écrivain inconnu, c’est qu’il a tout dit, tout ce qu’il savait de plus curieux, dans son premier livre, dans ce Maudit qui avait du moins une certaine saveur âpre, qui accusait une connaissance familière des mœurs, des antagonismes du clergé. Aujourd’hui il se répète ; il est diffus, il devient complètement prolixe. C’est bien la peine de saisir ce tout-puissant sujet de l’existence des jésuite pour rassembler d’une main inhabile, dans une composition mal liée, un peu de réalité et un peu de fictions, des noms portés par des hommes qui existent et des noms imaginaires ; des faits qui sont de l’histoire et des aventures qui ne trouveraient point de place dans le roman le plus banal. C’est une invention un peu surannée, vous en conviendrez, d’aller raconter encore la visite de M. Dupin à Saint-Acheul sous la restauration et les politesses échangées par lui avec le père Loriquet. Les entrevues de M. Dupin avec le père Loriquet ne sont pas probablement les plus curieuses et les plus étonnantes de sa vie. Quant aux prétendues révélations de l’auteur sur l’organisation des jésuites, sur leur action, leur esprit, leurs statuts, leurs règlemens, leur discipline, il y a longtemps vraiment qu’elles n’ont plus rien de nouveau ; elles sont connues, usées, épuisées, elles ont couru partout, et les jésuites pourraient répondre : Quoi ! donc ! n’est-ce que cela, et n’avez-vous rien de plus à dire ? D’autres avant vous en ont dit bien plus que vous. Eugène Sue était votre maître, il vous dépassait, et votre père Ruffin n’égalera jamais son ancêtre Rodin.

Après cela, je ne l’ignore pas, dans l’esprit de l’auteur et aussi dans son roman, il y a jésuites et jésuites. Il y a ceux qui, comme le père Ruffin, sont les serviteurs résolus et inflexibles de l’idée, de l’ordre, les agens assouplis à tout, même à la délation, et il y a ceux qui sont agités de révoltes secrètes, qui ont senti le souffle du temps, qui en viennent par degrés à se lasser du joug, à invoquer la régénération. Seulement l’écrivain n’est point heureux en vérité dans le choix des apôtres de l’idée nouvelle au sein de la compagnie de Jésus, et cette partie du roman ne laisse pas d’être scabreuse. Savez-vous en effet quels sont ces hommes d’élection, ces jésuites atteints de libéralisme ? L’un d’eux, le père Montgazin, je n’en doute pas, est une nature supérieure : il est éloquent, il a prêché avec succès à Paris, dans bien d’autres villes, et partout il a soutenu avec éclat l’honneur de l’ordre ; mais le père Montgazin est homme, et rien de ce qui est humain ne lui est étranger. Voilà le péril ! Tant il y a qu’un jour dans sa cellule il voit entrer sous le déguisement d’un petit jeune homme une grande dame, une certaine comtesse de Flaviac, qui dans son accommodante dévotion nourrit des goûts fort bizarres. Que se passe-t-il alors dans la cellule ? On ne l’aurait jamais su, si un bon père n’eut regardé par un trou habilement ménagé dans le mur, et par le fait ; au temps voulu, une jeune fille naît à cette comtesse de Flaviac ! Laissez passer les années,