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détruisant le bonheur des autres, une jeune fille placée dans une de ces situations de pauvreté précaire et froissée d’où elle ne peut sortir qu’en se blessant elle-même et en blessant ceux qu’elle aime le plus, voilà tout ! Mais c’est par les détails, par la vérité, par la simplicité éloquente que cette petite histoire devient une œuvre rare : mélange singulier d’expérience et de chasteté, de candeur honnête et de hardiesse, de passion et de fine analyse. Il a surtout le don de la vie et de l’émotion, ce petit récit. Il remue, il entraîne, il va droit au but, rapide et fixe comme la passion qui remplit l’âme de cette jeune fille et l’emporte jusqu’au bout sans lui laisser un moment de trêve. Certaines parties peuvent dénoter de l’inexpérience littéraire ; le feu intense de l’action intérieure est partout. C’est la mise à nu d’une situation poignante, d’un cœur de femme fasciné d’amour, torturé par sa propre fierté. Une seule question était restée douteuse après le Péché de Madeleine : était-ce là une de ces œuvres uniques qui ressemblent à un souvenir ou à une confession, et qui sont écrites avec le sang jaillissant d’une blessure plutôt qu’avec l’imagination, ou bien n’était-ce que le premier fruit d’un esprit bien doué, fait pour se répandre en inventions heureuses ? En d’autres termes, était-ce l’histoire vraie d’une âme solitaire et éprouvée, ou bien l’acte d’un romancier entrant dans la carrière par un coup de maître de délicatesse et d’émotion ? C’est une question que l’écrivain peut seul résoudre. Dans tous les cas, le Péché de Madeleine est une de ces œuvres choisies venues à propos pour réveiller le sens des choses fines de l’art.

C’est donc un vrai et sérieux roman que ce Péché de Madeleine dont l’auteur se dérobe, même devant le succès, et ce qu’on peut bien au contraire appeler toujours le petit roman, malgré l’étendue et les prétentions, c’est le Jésuite de cet écrivain de l’église qui veut, lui aussi, rester inconnu, c’est le Prêtre marié de M. Barbey d’Aurevilly. Il est certain qu’on tombe ici dans un tout autre monde, dans une atmosphère fort différente. Un des caractères du petit roman, considérez-le bien, c’est de s’inspirer de toutes les choses de circonstance, de suivre le souffle du temps. Tout ce qui agite le monde déteint sur lui, et partout il vient élever sa médiocre voix. Depuis quelques années, les questions de religion sont redevenues une obsession dominante, un aliment incessant de polémiques. Les controverses refleurissent plus que jamais. On ne parle plus que d’encycliques, de droits de l’église et de droits de l’état, de théocratie et de civilisation moderne. Il n’y a là rien que de naturel dans l’état moral du monde ; mais voici tout aussitôt le petit roman qui accourt, et nous nous trouvons submergés sous toute sorte d’histoires de couvens, de jésuites, de prêtres mariés ou non mariés, qui ne font pas toujours contraste avec cette littérature de mémoires et de révélations où apparaissent des personnages dont le défaut n’est point précisément d’abuser du mysticisme religieux ni même de la plus simple orthodoxie à aucun point de vue. Les jésuites ! Je