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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 mars 1865.

Quelles que soient les impressions que les événemens des vingt dernières années ont laissées sur les opinions politiques divergentes, il est impossible que la mort prématurée de M. de Morny n’excite point en nous un sentiment de tristesse mêlé à des réflexions sérieuses. On ne peut pas en ce moment juger la carrière de M. de Morny, on ne saura, peut-être point non plus la mesurer avec justesse dans l’avenir, quand on aura perdu le sentiment du milieu et de l’époque que cette existence active et brillante a traversés. On pourra dire dans l’avenir des choses auxquelles il serait indiscret et de mauvais goût de faire allusion aujourd’hui ; mais il y aura beaucoup de choses aussi dont on aura perdu, quand on aura la faculté de tout dire, l’exacte perspective et la véritable couleur. Entre les froides adulations officielles du présent et les secs arrêts de l’avenir, il devrait y avoir place un instant pour quelques appréciations où palpiterait du moins encore le souffle des sympathies vivantes.

On aime toujours son temps, même lorsqu’on croit avoir le droit de s’en plaindre. Il n’est guère possible d’avoir aimé notre temps et de s’arrêter avec plaisir aux reflets que les vingt dernières années ont pu laisser sur nos imaginations, sans que chacun retrouve à tel jour plus ou moins proche ou lointain, sur le fond vaporeux de ces fuyans tableaux, un souvenir aimable de M. de Morny. L’homme politique qui vient de mourir a été surtout, et dans toute l’acception que ce mot peut avoir encore à notre époque, un homme du monde. Peut-être, si l’on voulait détailler ces facultés n’en trouverait-on aucune qui fût précisément supérieure, si ce n’est cette ouverture d’esprit, cette expansion vive et facile, cette souriante bonne fortune de l’homme du monde. La vie de société et les qualités de cette vie firent les premiers succès et la première réputation de M. de Morny. L’homme qui excite aujourd’hui de si nombreux regrets ne datait point