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Il est facile de comprendre maintenant pourquoi notre siècle a plus aimé Pascal qu’aucun des deux autres qui nous ont précédés : son scepticisme, qui scandalisait le XVIIe siècle, est précisément ce qui nous plaît en lui. Nous l’aimons pour avoir douté, pour avoir souffert, pour avoir appelé la lumière en gémissant ; mais en même temps que nous aimons et que nous comprenons son doute, nous aimons aussi et nous comprenons sa foi. Il y a aujourd’hui bien peu de croyans qui n’aient quelque sympathie pour le doute, bien peu de sceptiques qui n’aient quelque sympathie pour la foi. Dans la poésie, l’enthousiasme religieux nous plaît et nous émeut autant qu’il choquait au siècle dernier, et nous préférons Polyeucte à Sévère ; la poésie lyrique de notre temps a dû à la foi religieuse quelques-uns de ses plus beaux accens. Autant nous sommes émus par les invectives hardies de Pascal contre la raison humaine, contre les lois de la société, je dirais presque contre les preuves traditionnelles et banales de la religion, autant nous le sommes de sa pieuse humilité et des effusions religieuses qui s’échappent de son cœur. La Prière sur les maladies, le Mystère de Jésus, l’Amulette elle-même nous émeuvent profondément, et nous ne sommes pas persuadés qu’un enthousiaste soit nécessairement un fou. Enfin Pascal est un de nous, car ce qui domine en lui est aussi ce qui domine en ce siècle, une foi qui doute et un doute qui veut croire. Si de ces deux choses, la foi ou le doute, l’une triomphait définitivement, Pascal perdrait peut-être une partie de son prix ; mais il est à craindre que ce partage ne dure encore longtemps, et que Pascal ne reste par là le plus fidèle et le plus profond interprète de nos déchiremens et de nos douleurs.

Aussi voyons-nous que la plupart des grands écrivains, des critiques considérables de notre temps se sont exercés au portrait de Pascal, et ce qui est digne de remarque, c’est qu’ils y ont presque tous réussi. Chateaubriand, M. Villemain, M. Sainte-Beuve, M. Nisard lui ont dû tous quelques-unes de leurs plus belles pages ; mais parmi tous ces écrivains, tous ces critiques, celui qui s’est emparé de Pascal de la manière la plus triomphante a été M. Cousin. Il a rendu à Pascal son texte authentique et original ; il en a retrouvé un fragment sans prix, et par le sujet, et par la manière, le Discours sur les passions de l’amour ; il a jugé l’écrivain en quelques lignes souveraines où le souffle du grand critique a passé. Enfin, dans un morceau des plus approfondis, il a établi avec un surcroît de preuves et une dialectique irrésistible ce que l’on savait sans doute, mais sans le bien comprendre et sans y trop penser, le scepticisme philosophique de Pascal[1]. Après que tant et de si

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1844 et du 15 janvier 1845.