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de notre cœur. C’est là pour nous qu’est le véritable Pascal. C’était le contraire aux siècles passés : au XVIIe siècle, on disait bien, de M. Pascal qu’il était un beau génie, mais on entendait surtout parler de l’auteur des petites lettres. Quant aux Pensées, elles ne semblent pas avoir été vivement goûtées par les contemporains : quelques paroles de Nicole, citées par M. Cousin, nous apprennent que les amis mêmes de l’auteur en étaient médiocrement satisfaits. Mme de Lafayette avait dit : « C’est méchant signe pour ceux qui ne goûteront pas ce livre. » Nicole répondit : « Pour vous dire la vérité, j’ai eu jusqu’ici quelque chose de ce méchant signe. J’y ai bien trouvé un grand nombre de pierres assez bien taillées et capables d’orner un grand bâtiment, mais le reste ne m’a paru que des matériaux confus, sans que je visse assez l’usage qu’il en voulait faire. » M. Cousin a fait également remarquer le silence universel des contemporains ; pas un mot dans Fénelon, dans Malebranche, dans Bossuet. On croyait trop alors, et trop paisiblement, pour être sensible à une apologie aussi ardente et aussi troublante que celle de Pascal. Je me représente en particulier Bossuet lisant les Pensées : ou je me trompe fort, ou il devait en être singulièrement scandalisé, lui qui ne supportait même pas la foi si pure et si entière de Fénelon, parce qu’elle était trop subtile. Cette logique à outrance, ce défi perpétuel jeté à la raison, ces mots terribles sur l’ordre factice des sociétés, ce mépris de la raison commune et des vérités moyennes, ce besoin de démonstrations rares, ce renversement de toutes choses, ce style heurté et violent, tout ce qui confondait et révoltait le solide bon sens de Nicole devait profondément déplaire à la majestueuse et impassible raison du grand évêque du grand siècle. Cet étrange personnage, géomètre et théologien, écrivain sans le savoir, plaisant et tragique, jugeant la vie comme Shakspeare et mourant comme un moine du moyen âge, n’était certainement pas de la famille de Bossuet, ce grand représentant de la discipline théologique.

Si Pascal a été peu goûté au XVIIe siècle parce qu’il ne croyait pas assez, il ne l’a pas été non plus au XVIIIe, parce qu’il croyait trop : les uns le trouvaient téméraire, les autres fanatique ; les uns étaient inquiets de son scepticisme, les autres peu sympathiques à sa foi. L’esprit critiqué du XVIIe siècle n’aimait pas l’enthousiasme religieux. Voltaire ne pardonnait à Polyeucte qu’à cause des amours de Sévère et de Pauline, il pardonnait de même à Pascal pour quelques-unes de ses maximes philosophiques ; mais en général il ne voyait en lui qu’un fanatique éloquent. Condorcet en jugeait de même, et, dans son édition de Pascal, il répandait un froid géométrique sur les pensées les plus pathétiques et les plus touchantes.