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ce mélange d’idées qu’il jugeait contradictoires. Son esprit, si clairvoyant et si dégagé dans le train ordinaire de son gouvernement, ne comprendra désormais plus rien au phénomène plus général qu’il a sous les yeux. « Je suis sorti, écrivait-il après une conversation avec Hardenberg, Nesselrode et Castlereagh, je suis sorti tout attristé de ce long entretien, où furent énumérées et discutées toutes les questions à l’ordre du jour… On espère dominer la révolution en la comprimant ou en la forçant au silence, et la révolution déborde même au milieu du congrès par toutes les fissures que des mains trop intéressées ou trop complaisantes lui ouvrent à plaisir… J’ai développé cette pensée à mes nobles interlocuteurs ; mais les difficultés du temps et ce qu’on appelle si ingénument les aspirations modernes servent de contre-poids fatal à tous ces retours vers un ordre de choses plus stable… Nous ressemblons aux architectes de la tour de Babel, nous arrivons à la confusion des langues en posant les premiers fondemens de l’édifice. »

Comment ne voit-il pas qu’à une influence si générale, qui pénètre jusque chez les rois absolus « par toutes les fissures » des vieux pouvoirs ébranlés, il doit y avoir une cause générale aussi, qu’il serait bon d’étudier et de comprendre avant de la combattre ? Mais, on le pressent, ce qui préoccupe Consalvi, c’est Rome. Ce qui l’effraie et le scandalise, c’est cette liberté de l’esprit, cette reconnaissance d’un droit à l’universel examen, que Rome, dans ses conditions exceptionnelles, ne peut admettre, mais qui s’installe de lui-même, comme un fait souverain, au cœur du nouveau système. Dans une Europe ainsi refaite, il ne trouve plus de place pour sa Rome d’autrefois ; il la voit même, dans un prochain avenir, envahie par ces forces nouvelles qu’il se représente comme les organes du mal et de l’erreur exclusivement. L’ennemi donc, à ses yeux, c’est la presse. Il l’a osé déclarer à Louis XVIII aux Tuileries, au prince-régent à Londres, et ce dernier « partageait ses appréhensions bien plus promptement que le Bourbon aux idées libérales. » La presse est le mal permanent, la puissance anonyme, occulte, qui parle à toutes les passions. Jamais l’Europe « n’a été menacée d’une plus étonnante perturbation, » et cependant tout le monde veut en courir la chance, même les princes. « La lutte entre le bon et le mauvais principe ne sera jamais, dit-il, à armes égales… Ce sera de toute évidence au saint-siège, comme au fondement de toute vérité et de toute stabilité, que les journaux, une fois maîtres du terrain, adresseront leurs coups les plus terribles. Nous désarmons la citadelle et nous livrons la place à l’ennemi. Un jour il y entrera avec armes et bagages. »

Consalvi ne s’y trompe donc pas : c’est la restauration qui commence,