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mieux peindre les brusqueries calculées, les éclats de passion et l’éloquence soudaine du premier consul et de l’empereur, qu’il ne l’a fait dans ces scènes dont il fut lui-même par deux fois, à dix ans de distance, le témoin et l’objet aux Tuileries ?

Mais ni son caractère, ni ses talens, ni ses négociations ne sont de notre sujet : nous ne voulons ici recueillir que son témoignage sur le fait capital qui nous intéresse, c’est-à-dire sur les destinées de ce domaine temporel de la papauté qu’il gouverna, qu’il aima, et dont il nous révèle mieux que personne, et sans y songer, l’incurable décadence. Nous verrons, par son récit du conclave, combien le sacré-collège, préoccupé d’intérêts politiques, peut, dans sa plus haute fonction religieuse, faire abstraction de la religion, — par l’exposé de ses efforts pour la réforme administrative, combien d’indignes intérêts la traversèrent, et, par un fragment de sa correspondance du congrès de Vienne, comment il pressentit l’incompatibilité qui allait s’établir, à partir de la restauration, entre l’esprit du gouvernement ecclésiastique et celui des temps modernes.

Toute élection, surtout dans les temps difficiles, s’appuie sur une question principale, et l’on choisit l’homme pour la question. Au 1er décembre 1799, jour de l’ouverture du conclave à Venise, deux questions étaient clairement posées devant les cardinaux : l’une d’intérêt temporel, l’autre d’intérêt spirituel.

Depuis deux ans, la situation avait bien changé en Italie. Nos armées avaient évacué les conquêtes de la guerre précédente ; la république cisalpine s’était évanouie ; l’Autriche, agrandie de l’état vénitien, s’était emparée à son tour des trois légations, et comme l’esprit de Kaunitz et de Joseph II vivait encore à Vienne, elle comptait bien les garder et s’en faire confirmer la possession par le nouveau pape. Celui-ci serait-il homme à résister, à revendiquer, à reprendre cette portion du domaine ? Là était pour le conclave l’intérêt temporel ; mais, d’autre part, la révolution française fatiguée semblait vouloir en finir, et de ce côté un rayon d’espérance s’élevait pour l’église du milieu de tant de ruines. Cette révolution, qui n’avait pas été, comme tant d’autres dont les histoires sont pleines, un simple drame politique, mais l’explosion d’une crise de l’esprit humain, une critique armée qui avait raisonné à coups de sape et de canon, démoli les temples, renversé les états, rasé la religion, enlevé un pape qu’il s’agissait alors même de remplacer, applaudissait maintenant au jeune Bonaparte, qui l’avait frappée au 18 brumaire, qui établissait le consulat, qui annonçait la fin des discordes civiles et le rappel de l’ordre moral, salué par les uns