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qui tomba victime des rancunes de leur ambition irritée.

Pendant tout le reste de sa vie, Pétro-Bey ne cessa de se regarder comme un souverain dépossédé et d’attendre une occasion de manifester hautement ses prétentions. Il fut néanmoins créé sénateur, ainsi que son fils le général Anastase. Son dernier fils, le colonel Démétrius, figura parmi les aides de camp du roi Othon jusqu’au jour où un ministre de l’instruction publique, Korphiotakis, originaire du Magne, fut assassiné dans les rues d’Athènes. Le meurtrier, qui parvint à s’échapper, était un Dourakis, famille de tout temps inféodée à celle des Mavromichalis, qui avaient toujours compté les Korphiotakis parmi leurs adversaires. Ce meurtre était-il un nouvel exemple de la vendetta maïnote ? Rien ne l’a prouvé ; mais la cour se refroidit tellement à l’égard des Mavromichalis que ceux-ci durent se démettre de leurs charges. L’influence de cette antique et puissante maison, dont les annales offrent un sombre mélange d’héroïsme et de barbarie, de vertus patriotiques et de crimes, a survécu dans le Magne à tous les événemens, et c’est encore un de ses membres qui représente aujourd’hui cette province à l’assemblée nationale d’Athènes.

Trois foyers, nous l’avons dit, ont conservé, pendant la longue durée de l’oppression musulmane, une sorte d’indépendance parmi les populations grecques. De ces trois foyers, il n’en reste plus qu’un, et c’est le Magne. Souli, dont le nom est demeuré en Grèce comme un symbole d’héroïsme, Souli, la patrie des Tsavellas et de Marc Botzaris, est retombé sous le joug ottoman et n’est plus qu’un désert habité par les aigles ; Sfakia, dont les montagnes ont été l’asile de la liberté dans l’île de Crète, est aussi rentré dans le domaine des Turcs, et sa vaillante population a presque entièrement disparu. Le Magne, qui a survécu, se trouve incorporé à la Grèce libre ; mais il semble frappé lui-même d’une sorte de fatalité commune aux trois sanctuaires de l’indépendance hellénique, et destiné à rappeler, au sein de la nation affranchie, le triste souvenir de la servitude contre laquelle il a si énergiquement combattu. Ainsi qu’on a pu le voir, le Magne n’a rien perdu de sa farouche et barbare physionomie ; les passions, l’ignorance, les préjugés, les sauvages coutumes d’autrefois, y dominent encore ; les inimitiés de famille et de tribu, les guerres intestines continuent à désoler le pays ; le brigandage y recrute ses plus audacieuses bandes. Le peuple, regrettant son autonomie séculaire, ne peut se résoudre à la perte des institutions féodales et militaires qui ont, il est vrai, puissamment contribué à la conservation de son indépendance, qui ont fait sans doute sa gloire et sa force en face d’un implacable ennemi, mais qui n’ont plus de raison d’être depuis qu’il n’a plus