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faudrait de la musique de Gluck ! » De la musique de Gluck à un sonnet de M. Sainte-Beuve, pourquoi cela ? L’auteur estimait-il que son sonnet, étant sans défaut, valait à lui seul un long poème de Quinault ou de Bailly du Proulet ? On ne l’a jamais su. Impossible par contre d’écouter cette idéale partition de Mozart sans penser à Platon, sans être frappé, comme dans le tableau de Raphaël, de cette opposition du groupe terrestre qui s’agite en bas et du groupe transfiguré qui plane en haut dans la pure lumière. Après ce premier acte, qui marche sur le sol réel, où, ravissante de grâce, de distinction, d’enjouement, la musique semble ne respirer, ne répandre autour d’elle que les ivresses, les chansons de la vie, voici tout à coup, avec l’entrée des trois génies, des accens d’un monde supérieur. « Elle m’apparut vêtue de la plus splendide couleur, modeste et décente, ceinte de pourpre et parée selon qu’il convenait à son jeune âge ; » ces paroles de la Vita nuova vous affluent aux lèvres, et, comme Dante apercevant pour la première fois Béatrice, vous vous écrieriez volontiers à la sensation dont vous pénètrent ces trois voix de soprano ne formant en quelque sorte qu’un son filé d’un rayon de soleil : Ecce Deus fortior me veniens dominabitur mihi ! Les Italiens d’autrefois n’écrivaient l’opéra-seria que pour des sopranos, des ténors, des voix aiguës, comme si les tonalités élevées pouvaient seules convenir à l’expression du sublime musical. En multipliant dans son ouvrage les parties de soprano à ce point d’en rendre l’exécution si difficile, Mozart n’a-t-il fait qu’obéir à cette loi, ou plutôt sa propre clairvoyance ne lui a-t-elle pas démontré que nulle voix plus que le soprano n’était de nature à rendre ces idées de pureté, d’élévation, de vérité éternelle, qui forment le thème psychologique dégagé par lui de l’espèce de chaotique rapsodie offerte à son imagination ? La seconde entrée des génies porte également ce caractère surnaturel, séraphique, admirablement exprimé par ces traits de violon d’une suavité telle qu’on dirait des battemens d’ailes sur les cordes ; mais c’est surtout dans l’introduction du second finale qu’éclate et rayonne en sa plénitude cette splendeur du divin. L’instrumentation de ce trio vous plonge dans le ravissement. On se sent l’âme inondée d’une lumière douce, bienfaisante ; on a comme l’idée d’une vision du paradis dantesque traversant l’âme d’un Fénelon ! Ce qui semblait devoir n’être qu’allégorie devient la réalité la plus charmante, et ces adorables génies, comme les anges de Raphaël, ne touchent au surnaturel que par leurs nimbes, car, pour le cœur, ils sont humains, mais d’une humanité épurée, sublimée.

Il n’eût certes tenu qu’à Mozart de faire ici du romantisme, son sujet même l’invitait à la fantasmagorie. Weber, Meyerbeer, Mendelssohn,