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éclate de santé, d’embonpoint ; lui n’est que pâleur, désir, souffrance : vous diriez une substance éthérée, une âme reproduite par la magie du pinceau le plus fin, le plus délicat. Elle, c’est le corps, c’est la forme, dans sa triomphante harmonie, la contadine superbe, impassible, fatale, qui se laisse aimer comme elle se laisse peindre, parce qu’elle est belle. Ainsi je me représente le mélancolique, l’ardent et mystique Mozart jeté par son libertinage en proie à toutes ces sirènes, moitié allemandes et moitié slaves, du gouffre viennois. Mystique et libertin, âme croyante, esprit sceptique et sens débauchés, l’exemple s’est vu trop souvent pour qu’on s’en émerveille ! Et si j’aborde franchement chez Mozart ce chapitre des humaines inconséquences, ce n’est point que je veuille me donner le triste plaisir de montrer dans un homme d’un tel génie les misères qui dégradent notre espèce, mais bien plutôt pour tâcher d’excuser l’immortel artiste à l’endroit de ses travers, qui furent surtout de son temps et de son pays, car si nous admettons que certaines conditions historiques et climatériques agirent beaucoup sur son génie, pourquoi nous refuserions-nous à reconnaître la part que ces mêmes conditions peuvent avoir eue dans sa conduite ?


II

Il a quelques mois, je traversais Saltzbourg allant à Ischl. Une journée que je passai là en promeneur, en dilettante, m’en apprit plus que bien des livres. Pas plus que la nature, ces quartiers et ces monumens n’ont changé ; tout y est comme Mozart l’a vu au temps des grandes existences épiscopales. Plus de vingt églises ou chapelles dans cette petite ville, et des tours, des coupoles, des flèches ! vous diriez une forêt. Le marbre abonde, le cuivre aussi, et sur toutes ces cimes globes et croix étincellent au soleil ; puis ce sont de riches hôtels, des maisons qu’on prendrait pour des palais, des places qu’égaie une architecture du midi. Quand, du haut du Capuzinerberg votre œil embrasse cet ensemble à la fois riant et superbe, vous vous croiriez déjà en Italie. Et combien l’impression va devenir plus grande, plus profonde, si du dehors vous pénétrez au dedans, si vous voyez s’ouvrir devant vous la cathédrale, les Franciscains, Saint-Pierre, si dans ces chœurs, sous ces dômes, le culte catholique célèbre pontificalement ses mystères, si le long de ces colonnes, de ces murs enluminés de fresques, se déroule l’immense procession avec l’or de ses mitres, de ses crosses, de ses chasubles, la flamme de ses cierges, la fumée de ses encensoirs, le tonnerre de ses orgues ! Tel fut le spectacle dont