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appartenant aux trois victimes, ont été trouvés à la surface de la partie inférieure du glacier des Bossons le 15 août 1861 ; ils avaient mis quarante et un ans pour descendre du Grand-Plateau dans la vallée de Chamounix. Un des survivans de ce terrible accident reconnut les objets qui avaient appartenu à Pierre Balmat, l’une des victime du désastre.

Nous prîmes les précautions que la prudence indique. Sans être attachés à une même corde, nous nous suivions de très près, et nous avions soin que les angles formés par nos zigzags eussent une ouverture de 15 degrés au moins. Nous enfoncions jusqu’à mi-jambe dans la neige, dont la température était toujours de - 11°,0 à un décimètre de profondeur. La raréfaction de l’air et l’épaisseur de la neige, d’où nous étions obligés de retirer nos jambes à chaque instant, nous forçaient à marcher lentement ; tous les vingt pas, nous nous arrêtions essoufflés, et nous sentions nos pieds douloureusement froids et près de se congeler. Pendant nos courtes haltes ; nous les frappions avec nos bâtons pour les réchauffer. Cette partie de l’ascension fut très pénible : cependant un beau soleil et un air calme favorisaient nos efforts ; mais, arrivés à la pente qui sépare les Rochers-Rouges des Petits-Mulets, nous aperçûmes, tout à coup les montagnes situées au sud du Mont-Blanc, et au-delà les plaines de l’Italie. Rien ne nous abritait plus : le vent du nord-ouest, insensible auparavant, enleva le chapeau de Mugnier, et, quoique chaudement vêtu, je me crus subitement déshabillé, tant ce vent était froid et pénétrant. Obliquant à droit, nous arrivâmes bientôt aux Petits-Mulets, rochers de protogine situés à 130 mètres seulement au-dessous du sommet. Nous touchions au but, mais nous marchions lentement, la tête baissée, la poitrine haletante, semblables à un convoi de malades. L’influence de la raréfaction de l’air se faisait sentir d’ une manière pénible : à chaque instant, la colonne s’arrêtait. Bravais voulut savoir combien de temps il pourrait marcher en montant le plus vite possible : il s’arrêta au trente-deuxième pas sans pouvoir, en faire un de plus. Enfin à une heure trois quarts nous atteignîmes ce sommet tant désiré : il est formé par une arête dirigée de l’est-nord-est au sud-sud-ouest ; cette arête n’était pas tranchante, comme de Saussure l’avait trouvée, mais d’une largeur de 5 à 6 mètres. Du côté du nord elle aboutissait à une immense pente de neige d’une inclinaison de 40 à 45 degrés, qui se termine au Grand-Plateau ; du côté du midi, elle se continuait par une petite surface plane parallèle à l’arête, inclinée d’une dizaine de degrés et large de 100 mètres environ. Cette surface se prolongeait vers le sud en se rattachant à une pente rapide interrompue brusquement au niveau des grands escarpemens de rochers qui dominent