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hâte vers le Petit-Plateau ; ils disparaissaient comme des ombres dans la brume, qui s’épaississait de plus en plus. Restés seuls, nous commençâmes à enlever la neige, à une profondeur de trente centimètres, dans un espace rectangulaire de quatre mètres de long sur deux de large ; puis, guidés par un rectangle en corde préparé d’avance, dont chaque nœud correspondait à un des piquets de la tente, nous plantâmes dans la neige de longues et fortes chevilles en bois, dont la tête était munie d’un crochet. Cela fait, la tente fut élevée sur la traverse et les deux supports qui devaient la soutenir ; les boucles des cordes furent passées autour de la tête des chevilles. La tente dressée, nous nous hâtâmes d’y mettre à l’abri nos instrumens d’abord, puis les vivres. Bien nous en prit de nous hâter, car plusieurs bouteilles de vin laissées dehors ne purent être retrouvées. Au bout d’une heure, la neige qui tombait et celle que le vent apportait les avaient recouvertes à l’envi. Dans la tente, mous avions improvisé un parquet avec de légères planches de sapin posées sur la neige. Nos guides étaient à une extrémité de la tente, nous à l’autre. L’espace était étroit ; on ne pouvait se tenir debout, il fallait se tenir assis ou couché. La cuisine était au milieu. Notre premier soin fut de faire fondre de la neige dans un vase échauffé par la flamme d’une lampe à l’esprit-de-vin, car à ces hauteurs le charbon brûle fort mal. Bravais eut l’heureuse idée de verser cette eau sur les piquets de la tente, l’eau gela, et, au lieu d’être enfoncés dans une neige meuble, ces piquets furent pris dans des masses de glace compacte. En outre une corde, fixée au boulon qui joignait la traverse de la tente à l’un des supports verticaux et attachée, en guise de hauban, du côté d’où venait le vent, fut amarrée fortement à deux bâtons enfoncés dans la neige. Ces précautions prises, nous n’avions qu’à attendre. Toute observation était impossible, sauf celle du baromètre dans la tente et d’un thermomètre au dehors : celui-ci marquait 2°,7 au-dessous de zéro à notre arrivée ; à deux heures, il était descendu à — 4°,0, à cinq heures à — 5°,8. Cependant la nuit était venue, nous avions allumé une lanterne qui, suspendue au-dessus de nos têtes, éclairait notre petit intérieur. Les guides, entassés les uns sur les autres, causaient à voix basse ou dormaient aussi tranquillement que dans leur lit. Le vent redoublait de violence, il soufflait par rafales interrompues par ces momens de calme profond qui avaient tant étonné de Saussure lorsqu’il se trouvait au Col-du-Géant dans des circonstances entièrement semblables. La tempête tourbillonnait dans le vaste amphithéâtre de neige au bord duquel notre petite tente était placée. Véritable avalanche d’air, le vent paraissait tomber sur nous du haut du Mont-Blanc. Alors la toile de la tente se gonflait comme une voile enflée par la brise, les supports fléchissaient et vibraient comme des