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Dans un espace de cinquante-sept ans, de 1787 à 1843, vingt-sept ascensions eurent lieu au Mont-Blanc ; mais aucune n’a un caractère réellement scientifique, Une noble curiosité, le désir de visiter ce monde de neige et de glace et de jouir du haut du Mont-Blanc de l’un des plus grands spectacles qu’il soit donné à l’homme de contempler, l’attrait de la difficulté vaincue, tels sont les motifs qui décidèrent la plupart des voyageurs, et certes ces motifs sont une compensation suffisante aux fatigues inévitables et à la dépense assez considérable qu’entraîne une pareille expédition. Cependant plusieurs voyageurs ont publié des relations intéressantes dans lesquelles on trouve des données dont la science peut faire son profit. Je citerai spécialement l’ascension de Francis Clissold du 18 août 1822, celle de Marckham Sherwill du 26 août 1825, d’un Écossais, M. Auldjo, le 9 août 1827, du physiologiste Martin-Barry, qui, quoique nullement préparé d’avance, fit d’importantes observations sur les phénomènes physiologiques produits par la raréfaction de l’air. La plupart des voyageurs sont Anglais ; toutefois on compte quatre Français : M. Henri de Tilly, M. Doulat, Mlle d’Angeville et le docteur Ordinaire, qui monta deux fois au Mont-Blanc, le 26 et le 31 août 1843, après avoir dans l’intervalle gravi le Buet en revenant à Chamounix par le Breven. Depuis 1844, ces ascensions se sont singulièrement multipliées, et vingt ans plus tard, à la fin de 1868, le nombre total s’élevait à 171, dont 3 se sont faites en juin, 36 en juillet, 84 en août, 47 en septembre et 1 en octobre[1]. Les termes extrêmes sont le 1er juin 1858, ascension de M. J. Walford, et le 9 octobre 1834, ascension de M. de Tilly, qui revint avec les pieds gelés, et souffrit longtemps d’une tentative faite dans une saison trop avancée et avec une insouciance téméraire du danger de la congélation, le plus réel que l’on coure dans les neiges qui recouvrent les sommets du Mont-Blanc et du Mont-Rose.


II

J’arrive au récit de l’ascension scientifique que j’ai faite en 1844 avec mes amis Auguste Bravais, lieutenant de vaisseau, et Auguste Lepileur, docteur en médecine. Avec le premier, j’avais visité le Spitzberg en 1838 et 1839 pendant les deux campagnes de la Recherche dans la Mer-Glaciale : il avait hiverné seul à Bossehop, en Laponie ; mais nous avions séjourné ensemble sur le Faulhorn, en 1841, pendant dix-huit jours, à 2,680 mètres au-dessus de la mer ;

  1. Voyez la liste complète de ces ascensions dans l’ouvrage de M. Dollfus-Ausset intitulé Matériaux pour l’étude des glaciers, t. IV, p, 589.