Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ayant plus que 434mm,38 de longueur, l’eau entrait en ébullition à 86°,00. Sous cette pression, le thermomètre de Saussure aurait dû marquer 85°,01 ; mais on ne savait pas alors que la nature du vase et de ses parois retarde ou avance le moment de l’ébullition de l’eau ; on ignorait qu’il ne faut pas plonger le thermomètre dans le liquide même, mais seulement dans la vapeur de l’eau bouillante. En outre Dalton, Arago, Dulong et Regnault n’avaient pas encore exécuté ces grands travaux sur les vapeurs qui nous ont appris quelles étaient exactement la température et la force élastique de la vapeur d’eau sous différentes pressions. Pour toutes ces raisons, les résultats de Saussure sont seulement approximatifs, mais aussi exacts qu’ils pouvaient l’être à l’époque où il observait. Deluc l’avait précédé dans cette voie en faisant bouillir de l’eau au sommet du Buet, à 3,098 mètres au-dessus de la mer, et les expériences des deux savans genevois se confirmèrent réciproquement.

Quand de Saussure fit son expérience de l’ébullition de l’eau au bord de la mer avec sa lampe d’esprit-de-vin, l’eau entra en ébullition en atteignant la température de 101°,6 en douze ou treize minutes. Sur le Mont-Blanc, il fallut une demi-heure pour que la température s’élevât à 86°,0 ; la raréfaction de l’air et la basse température expliquent parfaitement cette différence. Les mêmes circonstances, jointes à la fatigue et à l’absence de sommeil, rendent parfaitement compte de l’anhélation, de l’accélération du pouls, de la céphalalgie et de la tendance au sommeil que de Saussure et ses compagnons éprouvaient tant qu’ils étaient en mouvement, symptômes qui disparaissent avec le repos et qui s’émoussent par l’habitude.

À trois heures et demie, après un séjour de quatre heures et demie au sommet du Mont-Blanc, de Saussure se remit en marche pour descendre. La neige s’était ramollie, il enfonçait à chaque pas ; néanmoins il arriva en une heure un quart au Grand-Plateau, où il avait passé la nuit précédente, le traversa et descendit jusqu’à l’avant-dernier rocher de la chaîne des Grands-Mulets, élevé de 3,470 mètres au-dessus de la mer : il l’appela le rocher de l’Heureux-Retour et y remarqua avec surprise le carnillet moussier[1] en fleur ; cette jolie plante est celle qui s’élève le plus haut dans les montagnes de l’Europe. Les frères Schlagintweit l’ont vue, sur le Mont-Rose, à 3,630 mètres ; Ramond l’a cueillie sur le Vignemale et au Mont-Perdu, dans les Pyrénées, à 3,000 mètres. D’un autre côté, elle s’avance au Spitzberg jusqu’à 80 degrés de latitude, où on la trouve au bord de la mer. C’est donc la plante la moins frileuse

  1. Silene acaulis, L.