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dans ce siècle, ne s’est plus noblement inquiété des intérêts supérieurs de l’homme, de ce qui relève sa condition présente, de ce qui éclaire son avenir. Je sais bien que la mode est passée de ces préoccupations sentimentales, et que les grands esprits qui aspirent à renouveler l’intelligence humaine, à la déniaiser, n’ont rien de plus à cœur que de lui enlever ces besoins factices, ces aspirations a une vie future, tous ces rêves d’enfant qui amusent son ennui ou sa vanité ; mais je sais aussi que l’esprit humain ne se laisse pas mener sans résistance par ses nouveaux et superbes instituteurs, que toute sa nature se révolte quand on arrive aux dernières conséquences du système. Il aime à retrouver une voix amie, familière, qui le rassure contre les terreurs du néant ; il se réjouit quand on lui apporte de la part d’un homme qui a tant médité ces paroles de bon augure : « Non, votre instinct ne vous trompe pas, la raison est d’accord avec lui ; vous pouvez espérer. Votre instinct n’est que le sentiment de ce qu’il y a d’incomplet et d’inexplicable dans cette vie, si elle s’achève en ce monde. »

Toutes ces théories particulières venaient se rejoindre et se confondre dans la théorie de l’ordre universel, dont s’enchantait elle-même cette haute intelligence si bien préparée à goûter les divines harmonies. Il les exprimait avec une grandeur et une simplicité que Platon aurait aimées. Si chaque être a sa fin, disait-il, la création elle-même en a une. Cette création, il est vrai, dans son ensemble, nous échappe ; nous n’en saisissons qu’un fragment, et ce fragment même, nous ne le connaissons que dans un moment de sa durée ; l’œuvre de Dieu remplit l’espace et le temps y et ce que nous en pouvons saisir n’est qu’un point dans l’un, un moment dans l’autre. Qu’importe ? fût-elle infinie et sa durée éternelle, le même principe s’y applique et persuade invinciblement à notre raison qu’elle a une fin, un but unique. Mais quelle parole humaine, quelle pensée finie pourrait atteindre ce but que Dieu s’est proposé en laissant échapper l’univers de ses mains ? — La vie de la création n’est autre chose que son mouvement vers cette fin suprême. Or ce mouvement universel et éternel de chaque chose vers la fin que Dieu lui a assignée, et de toutes choses vers la fin de la création, ce mouvement évidemment régulier puisqu’il a un but, c’est l’ordre. C’est l’idée et le sentiment de l’ordre qui expliquent toutes les tendances de notre nature, toutes nos aspirations, toutes nos grandeurs. Cet ordre, en tant qu’il est la fin de la création ; c’est le bien ; en tant qu’il est exprimé par le symbole de la création, c’est le beau ; traduit en idée, c’est le vrai. Le bien, c’est l’ordre réalisé ; le vrai, c’est l’ordre pensé ; le beau, c’est l’ordre exprimé. Cette idée elle-même cependant n’est pas le dernier terme de la