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leçons, l’une sur le problème de la destinée, l’autre sur la méthode pour le résoudre ; puis le Cours de Droit naturel, recueilli par la sténographie ; la publication posthume de quelques chapitres contenant des vues théoriques qui servent de conclusion au cours, voilà tout ce qui a survécu de cet enseignement. Quel regret excite en nous la lecture de ces fragmens, si incomplets, si dispersés, et qui nous donnent pourtant une si grande idée du plan et de l’œuvre ! M. Jouffroy rencontrait là, dans des circonstances rares de loisir et de travail, l’occasion de ce livre unique pour lequel chaque écrivain semble prédestiné, tant il y avait d’harmonie entre ce sujet admirable et ses belles facultés de penseur profond, de philosophe religieux, d’artiste. Au lieu d’une œuvre conçue d’un seul jet, disposée selon les justes proportions de chaque idée, se développant harmonieusement jusqu’aux vastes conclusions qu’elle comportait, éclairée dans toutes ses parties de cette clarté croissante, reflet de la vérité qui se dégage de plus en plus, signe d’une démonstration qui avance et que chaque pas rapproche du but, nous avons quelques pages détachées et un ouvrage mal composé, le Cours de Droit naturel, dans lequel les recherches historiques et préliminaires prennent à peu près toute la place, et que la négligence d’une rédaction hâtive a compromis jusqu’à un certain point dans l’estime des connaisseurs. Ce regret, nous l’avons exprimé déjà, mais jamais il n’est plus vif en nous qu’au moment où nous voyons M. Jouffroy perdre une occasion si naturellement faite pour lui, et qui aurait valu à notre littérature philosophique une œuvre impérissable.

Rappelons à grands traits, en nous tenant aussi près que possible de la pensée de M. Jouffroy, le plan de l’œuvre et les principales conclusions entrevues. Personne n’échappe à ce grand problème de la destinée, car personne n’échappe à la raison, qui conçoit naturellement cette idée, qui affirme que toute chose a sa destination, que l’homme aussi doit avoir la sienne, et que cette destination a un rapport nécessaire avec celle de l’univers. Cette idée inévitable marque l’avènement d’une vie nouvelle ; elle termine cette longue enfance durant laquelle la sensation et l’instinct dominaient en nous. « Il n’est pas un homme, j’ose le dire, si pauvre que sa naissance l’ait fait, si peu éclairé que la société l’ait laissé, si maltraité, en un mot, qu’il puisse être par la nature, la fortune et ses semblables, à qui, un jour au moins, dans le courant de sa vie, sous l’influence d’une circonstance grave, il ne soit arrivé de se poser cette terrible question qui pèse sur nos têtes à tous comme un sombre nuage, cette question décisive : pourquoi l’homme est-il ici-bas, et quel est le sens du rôle qu’il y joue ? » Cette question n’est inconnue à aucun homme qui ait un peu vécu, un peu souffert, qui